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Que sert à l'homme de gagner l'univers s'il perd son âme

19 janvier 2014 7 19 /01 /janvier /2014 09:25

Quand on tient encore à la vie au bord du tombeau, on ne reçoit point de la mort sa lumière. C'est de son plein détachement que vient au mourant cette lucidité merveilleuse à l'égard de toutes choses et de soi.

 

S'il est vrai qu'un mourant voie passer devant lui comme dans un éclair tous les événements de sa vie, n'est-ce pas le signe que, le temps tra­versé et l'action éteinte, il entre, par cette porte de la vie purement contemplée, dans la région de la contemplation éternelle?

 

Ce retour idéal d'un passé évanoui, c'est son « temps retrouvé », après que la fugitive action le perdît miette à miette. Qu'il se retourne maintenant vers ce qui ne se perd plus, vers ce qui n'a plus besoin de se retrouver, parce qu'il est fixe comme une pensée toujours actuelle, et qui est riche de tout l'être, étant sa source.

 

Les enfants et les malades ont peur de la nuit : la puérilité spirituelle et l'état de pécheur ont pareil effet; mais la virilité et la sagesse sourient à l'ombre mortelle; la mort ne les rencontre, sur la route où les vivants cheminent, que tranquilles et chantant tout bas.

 

La mort ne peut pas être terrible; le moment où elle vous touche est un moment où l'on n'est point. Ôtez la crainte, et toute nuisance de la mort s'écarte. Mais autre chose est ce qu'il y a au delà. En ce point doit se concentrer notre pré­occupation; sur la mort même doit s'étendre la soumission que nous devons en tout à la provi­dence.

 

Qu'importe un peu plus tôt ou un peu plus tard? Le tribut nous est demandé : ne chi­canons pas sur la date. La nature « enfante » en se servant de nos corps; nos corps lui appar­tiennent; elle nous les a prêtés à charge de les lui rendre; son œuvre faite, elle nous les rendra à son tour fidèlement; à nous aujourd'hui d'être des dépositaires dociles.

 

La mort ne fait que changer les conditions dans lesquelles notre esprit est appelé à jouir de l'éternel : attachés à celui-ci, nous n'avons rien à craindre. Le ciel s'ouvre à notre âme bien avant que le tombeau ne s'ouvre à notre corps.

 

Quand on appelle la mort un déchirement, on oublie qu'elle déchire surtout les voiles d'apparence et de mensonge qui nous cachent le réel profond, et les autres, et nous-mêmes. Hors cela, elle ne déchire que ce qui se déchirerait sans elle; elle ne touche qu'à ce que le temps détruit. En re­vanche, elle nous raccorde au permanent; elle nous rend indépendants de son propre et fugitif empire.

 

Ce passage n'est donc terrible que si l'on n'a pas su l'anticiper en habitant, en esprit, ce pays d'au delà où elle nous emmène. L'exil éternel n'existe que pour ceux dont ce monde est la pa­trie; pour ceux qui ont leur patrie là haut, c'est ce monde qui est l'exil. On n'en redoute la perte que par un manque de foi et d'espérance. Les saints n'ont aucune peine à se quitter et à tout quitter; ils en ont seulement de la peine. On ne nous demande pas non plus l'insensibilité; on nous demande la confiance, au bord de ce que le poète appelle : «Ce peu profond ruisseau tant calomnié ; la mort.»

 

Extrait de : RECUEILLEMENT. Œuvre de A. D. Sertillages O.P. (1935)

 

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