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Que sert à l'homme de gagner l'univers s'il perd son âme

18 novembre 2017 6 18 /11 /novembre /2017 03:40

 

NOTRE-SEIGNEUR JÉSUS-CHRIST…             

Nous sommes si habitués au texte de nos prières que nous finissons par en oublier le sens. A plus forte raison nous nous soucions fort peu de leur origine. Ne serait-ce pas le cas pour cette expres­sion « le Seigneur », si souvent employée dans les psaumes, en référence à Dieu, Créateur de toutes choses, et qui, de nos jours, est devenue le terme le plus habituel pour désigner le Fils de Dieu incarné, Jésus-Christ ? Nous disons tout naturelle­ment « Notre-Seigneur », en parlant de lui; mais il n'est pas sans intérêt de rechercher dans le passé l'histoire de cette appellation.

Les Juifs de l'Ancien Testament, vous le savez, donnaient à Dieu un nom spécial : Jéhovah, ou plus exactement Yahvé. Peu à peu, la révérence due à ce nom trois fois saint avait fait naître en eux un tel sentiment de leur indignité qu'ils en étaient venus à ne plus oser le prononcer. Le trouvant trop sacré pour être articulé à haute voix, ils y substituèrent le mot « Adonaï » ou « Sei­gneur ». D'un usage moins strictement réservé, c'était tout de même un terme de respect que l'on employait à l'égard du souverain et dans les occa­sions solennelles de la vie; les femmes appelaient leur époux « Seigneur »; on disait « Seigneur » aux prophètes ou aux autres personnalités de marque, les serviteurs le disaient aussi à leur maître, et souvent les fils à leur père.

Quelque chose de cette signification révérencielle est parvenue jusqu'à nous, avec ceci de particulier que le mot est presque exclusivement réservé, de nos jours, à la Personne de Nôtre-Seigneur Jésus-Christ. En parlant de Dieu Créateur ou Provi­dence, nous disons : le bon Dieu; mais nous appe­lons Jésus « Nôtre-Seigneur », et si spontanément que le nom propre de Jésus semble plutôt réservé à la prière; on l'emploie assez peu dans le lan­gage courant. Nous trouvons en quelque sorte « Nôtre-Seigneur » plus respectueux que « Jésus » tout court, mais nous n'avons peut-être jamais réfléchi à la signification vraiment profonde de ces deux petits mots.

Nous le disions que pour les anciens Juifs, le mot de « Seigneur » impliquait toujours le respect; il était de mise partout où l'autorité était, ou tout au moins le rang et la dignité, en cause. L'Évangile en fourmille d'exemples. C'est le jeune homme prié par son père d'aller travail­ler à la vigne et qui répond : « Oui, Seigneur. » (Entre parenthèses, il ne s'y rendit pas.) C'est Marie-Madeleine interpellant celui qu'elle prend pour le jardinier : « Seigneur, si c'est vous qui l'avez enlevé, dites-moi où vous l'avez mis et je l'emporterai. » (JN, XX, 15.) Elle veut s'insinuer dans ses bonnes grâces en l'appelant Seigneur.

Pour le juif religieux de l'époque et pour le chrétien des premiers temps, commencer sa prière par « Seigneur », c'était donc tout simplement transposer dans le domaine spirituel une formule habituelle de respect. On trouvait normal de s'adresser au Maître de toutes choses par un titre en usage auprès des grands de la terre; à l'Époux des âmes, par un titre qui convenait aux époux; au Père Éternel, par le titre que les fils donnaient à leur père; au bienfaiteur universel, par le titre usité envers un homme de marque dont on espé­rait une faveur. Ce mot « Seigneur » était donc autre chose qu'une simple formule de politesse; il était riche de sens.

Avouons que nous-mêmes nous ne savons pas trop ce que nous disons lorsque nous parlons du « Seigneur ». A peine voyons-nous là un rappel à l'humilité de notre condition, devant un grand personnage, quand nous sommes en prière. Le mot n'évoque rien qui soit en rapport avec la vie con­crète du XXe siècle. Notre mentalité d'Occiden­taux, passablement démocrates, est pour beaucoup dans ce quasi impossibilité d'admettre au-dessus de nous un Seigneur qui le soit véritablement et en toute rigueur de terme. On prétend qu'en Angleterre, au temps de la première Élisabeth, un grand de la cour étendit son vêtement flambant neuf sous les pieds de la reine, pour lui évi­ter de ternir ses fines chaussures. Elle était la reine, lui le sujet; le geste paraissait naturel à l'un et à l'autre. De nos jours un respect peut-être égal n'inspirerait plus les mêmes gestes... Autres temps, autres mœurs. L'Inde, sans doute, nous fournirait encore des exemples de ce genre, parce que l'Inde, précisément, a gardé quelque chose des mœurs antiques. La poésie indienne célèbre une femme qui, pour rehausser l'honneur de son époux, se déclare « plus vile que la pous­sière soulevée par son char ». Est-il une femme en Occident qui irait jusque-là dans la louange de son Seigneur et Maître ?

Tout cela pour en arriver à définir le sens du mot « Seigneur », adressé à Jésus. Nous venons de voir qu'il implique une relation de roi à sujet, d'époux à épouse, mais il y a plus fort encore. Le mot latin « Dominus », que nous traduisons par « Seigneur », désignait littéralement le pro­priétaire d'esclaves. L'idée que se formaient de Jésus les premiers adeptes du christianisme c'était, avant tout, celle du maître auquel ils apparte­naient, qui les possédait en propre et aussi réel­lement, sinon plus, qu'un propriétaire ne possède son troupeau. Il ne nous est pas facile de reconsti­tuer, après coup, cette atmosphère d'un ancien monde où le maître avait droit de vie et de mort sur son esclave, il pouvait le tuer pour un dîner mal apprêté !  C'est pourtant ce que signifiait le mot Dominus, Seigneur, quand on com­mença à l'appliquer à Jésus-Christ.

Dans l'oraison « Fidelium », de l'Office des morts, l'Église nous fait demander à Dieu sa pitié pour l'âme de ses serviteurs et de ses servantes; mais le sens obvie est que la grâce soit obtenue du Maître pour ses esclaves. On sait quels étaient les châtiments réservés à ceux-ci : les fouets, les fers rouges, la crucifixion; le maître était en droit d'user de tout cela à l'époque où la Bible fut écrite. Il faut nous le rappeler si nous voulons réaliser un peu ce que comporte cette simple affirmation : « Je crois en Jésus-Christ Nôtre-Seigneur. »

Un fait est certain : Il nous possède comme son bien propre. Sa bonté nous ferait facilement oublier ses droits de maître et de possesseur, mais la réalité est là. Il nous a rachetés, c'est-à-dire payés, et nous lui appartenons.

Ni vous ni moi, nous n'avons probablement jamais vu d'es­claves. Mais la chose était encore courante il y a une centaine d'années. Aujourd'hui, grâce à Dieu, on ne trouverait plus qu'exceptionnellement des êtres livrés totalement à d'autres êtres humains pour la vie et pour la mort. Et cela nous rend mal­aisé de comprendre ce qu'est une appartenance totale. Nôtre-Seigneur a sûrement tenu compte, d'avance, de cette difficulté de notre époque, et pour nous rendre plus familière une notion aussi éloignée de notre conception du XXe siècle, il a inspiré à la liturgie maints passages où nous som­mes comparés à des troupeaux dont Dieu gérait le Maître. « Nous sommes son peuple et les bre­bis de son pâturage », dit le Psaume 92. C'est d'ailleurs un écho de cette même allégorie que nous retrouvons dans la bouche même de Nôtre-Seigneur : « Je suis le Bon Pasteur » (JN, X, 11), dit-il dans la plus touchante de ses paraboles. Il s'y peint lui-même sous les traits du berger, mais du berger propriétaire des brebis. Il est notre possesseur, comme un fermier l'est de son trou­peau, et c'est pourquoi nous devons porter sa marque. Si vous avez tant soit peu habité la cam­pagne, vous aurez remarqué avec quelle facilité les moutons se faufilent au travers des haies pour le plaisir d'aller se mêler aux troupeaux voisins. C'est pourquoi le propriétaire leur fait une marque sur le dos, bien visible, rouge ou bleue, afin de, les retrouver aisément. Aussi le mal ne sera pas grand, s'il y a un peu de mélange. Chaque berger aura vite fait de retrouver son bien, Le baptême, c'est un peu cela : la marque du Christ sur notre âme. Nous ne la voyons pas, parce qu'elle est surnaturelle, mais elle est visible aux esprits angéliques. Un ange peut voir immédiatement si vous êtes baptisé ou non. Et ce signe est indélébile : rien au monde ne peut l'effacer. Ce n'est pas, vous le pensez bien, que Nôtre-Seigneur ait besoin de ce signe pour reconnaître ceux qui sont à lui, lui qui nous connaît individuellement et par notre nom, notre nom de baptême ! Lui qui connaît très exactement notre histoire. Un berger qui saurait utiliser ses longues heures de loisir arriverait assez vite à distinguer les uns des autres ses moutons; il est probable qu'il ne leur donnerait tout de même pas un nom à tous indi­viduellement. Pour Jésus, chacun, parmi les millions de chrétiens qui composent son troupeau, est une unité, ayant son nom propre. C'est le mouton ce un tel « ou ce une telle » et il n'y a pas à craindre qu'il y ait jamais confusion.

L'ennui, avec les moutons qui franchissent la barrière ou la haie, c'est qu'ils risquent de brou­ter une herbe qui ne leur convient pas du tout. S'ils entrent dans un champ de trèfle, par exemple, il y a des chances qu'ils en broutent à se rendre malades. Vous les voyez alors enfler, puis s'étendre à terre sans bouger, cela peut mal finir !... Ne riez pas ! C'est un peu notre histoire à tous. Soyez sûrs que ce n'est pas pour rien que Nôtre-Seigneur dit vouloir mener lui-même ses brebis aux pâturages; c'est lui qui leur donnera ce qu'il leur faut ; il sait distinguer ce qui est bon pour elles et ce qui ne l'est pas.

Ceci mous amène à dire un mot de ceux qui aident le pasteur, le Bon Pasteur, à garder son troupeau. Vous pensez bien qu'il ne court pas lui-même après les brebis ou les moutons auxquels il prend fantaisie de s'échapper. Que fait-il ? Il siffle son chien et aussitôt celui-ci part en cou­rant en aboyant aussi, et sur quel ton ! Et il con­tinuera son manège jusqu'à ce qu'il ait ramené le  fugitif ou la fugitive à l'alignement du trou­peau. La prochaine fois que vous verrez une scène de ce genre, rappelez-vous ce que je vous dis aujourd'hui. Pensez que Dieu a établi au-des­sus de vous, dans l'Eglise, des prêtres pour vous avertir : « Il faudrait faire ceci, ne pas faire cela... » Ce sont les messagers de Jésus-Christ, le vrai Berger. Ceux-ci ne parlent pas en leur pro­pre nom, mais en son nom à lui; ils n'inventent pas de nouvelles règles, de nouveaux commande­ments, mais ils vous transmettent ce que le Ber­ger veut de vous, ce qu'il interdit ou commande, et à ce Berger-là vous devez obéissance parce que vous êtes à lui.

Autre chose : un troupeau ne vit pas dans les champs à longueur d'année, ni même de journée. C'est au berger à pourvoir à sa nourriture, qu'il soit dehors ou dedans. Et voyez avec quelle solli­citude notre divin Pasteur y a pourvu ! Il sait bien que la vie surnaturelle, que nous tenons de lui, ne peut s'entretenir que par un aliment sur­naturel. Alors il nous donne sa Chair et son Sang dans la Sainte Eucharistie.

Revenons, avant de terminer, sur l'image que Jésus a voulu nous laisser de lui-même dans la parabole de la brebis égarée. (JN, X, 11.) Le bon Pasteur ne peut supporter qu'elle soit perdue sans retour, et nous savons la peine qu'il se donne pour la ramener au bercail. Mais il est un aspect de la parabole auquel on ne pense guère : je veux par­ler de la résistance de la brebis à son propre sau­vetage. Elle s'est laissé prendre aux ronces d'un buisson; le berger accourt et se met en devoir de la dégager, patiemment, doucement. Croyez-vous qu'elle va se laisser faire. Bien au contraire. Elle se débat, se démène comme une petite folle ! A peine commence-t-elle à se sentir libre qu'elle tente de fuir de nouveau. Elle voudrait échapper à son sauveteur... Il faudra que celui-ci la sauve malgré elle !

Eh bien ! C'est tout simplement notre histoire, l'histoire de l'âme humaine tombée dans le péché grave. La grâce qui la délivrerait est quelque chose dont elle se méfie, qu'elle ne veut pas accepter, qu'elle essaie même de refuser positivement. Quel artiste a jamais pensé à peindre cela : le bon Pas­teur venant délivrer sa brebis qui s'efforce de lui échapper ? Ce serait un beau et triste sujet... trop vrai hélas !

Extrait de : LE CREDO  Mgr Ronald KNOX. (1959)

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