Nous devons arracher au démon cette première victoire, qui consiste à se faire oublier…
« Nous voyons aujourd'hui ce qui ne se vit jamais dans l'histoire : le drapeau de la guerre satanique contre Dieu et contre la religion effrontément déployé par la rage abominable des impies à travers tous les peuples et dans toutes les parties de l'univers ». S. S. Pie XI, Caritate Christi Compulsi, 3 mai 1932.
La période catastrophique que nous vivons produit nettement sur les hommes l'impression que, pour troubler l'ordre du monde, des forces surhumaines sont en jeu ; en effet, les efforts humains semblent débordés, l'homme est vaincu par la grandeur des puissances chaotiques.
C'est pourquoi... après quelques siècles d'oubli, on croit à nouveau que les forces diaboliques agitent le monde. Au cours du XIXe siècle, par exemple, le Méphistophélès de Faust n'était plus qu'un sujet de jouissances esthétiques ; en effet, on ne croyait plus en la présence active et actuelle du démon dans la vie sociale.
Les événements du XXe siècle ont rappelé à l'humanité cette présence de Satan. Et M. le Chanoine Thils disait très justement : à propos des « tares » qui affectent les sociétés : « ... d'où viennent-elles ? On leur assigne généralement une source bien connue : la complexité de la nature humaine, composée de matière et d'esprit, dont l'harmonieuse synergie n'est pas toujours tendue vers le bien, comme on pourrait le désirer. Mais au delà de cette explication qui est intérieure à l'homme, il en est une autre, extérieure bien qu'aussi virulente : ce sont les esprits mauvais, et notamment Satan.
Ce serait bien mal comprendre l'ordre surnaturel que de l'oublier : toutes les sources inspirées rappellent son existence, sa malice et sa puissance. Or, Satan n'agit pas seulement par lui-même. Vaincu en principe par l'archange Michel et ses anges il se traîne sur le sable de la mer et suscite en permanence contre le royaume messianique une opposition collective politique et institutionnelle : la « Bête qui surgit de la Mer ». (Apoc. XII-XIII.)
Tout le message de l'Apocalypse en est témoin ». (Gustave THILS, Théologie des Réalités terrestres, I, Préludes, p. 142 (Bruges, Ed. Desclée, 1947).
Nous n'avons qu'à ouvrir les yeux, pour distinguer aujourd'hui dans le monde un sursaut gigantesque de la Bête.
Il est donc indispensable, pour tous ceux qui s'attachent à trouver une solution aux difficiles problèmes sociaux qui se posent à l'heure actuelle, de tenir compte de l'élément diabolique comme source de maux ; et donc d'édifier un programme de combat contre ce que Saint Paul appelait déjà le « mystère d'iniquité ». (II Thess. II, 7. )
Trop souvent encore la sociologie contemporaine demeure dominée par le positivisme et le matérialisme. Cette sociologie se montre radicalement incapable de résoudre les problèmes sociaux. En effet, elle élimine à priori toute norme morale. Le positiviste ne croit qu'aux faits, qu'à l'expérience dans l'ordre naturel ; il nie qu'il y ait des principes ou une règle absolue dominant la vie individuelle ou la vie sociale. (Nous nous inspirons ici de l'ouvrage de l'abbé Paul Hanly Furley, professeur à l'Université Catholique de Washington, The Mystery of Iniquity (Milwaukee, Ed. Bruce, I943).
Il ne s'agit donc pas, pour lui, de juger de la bonté ou de la malice d'un acte, en le rapportant à une morale abstraite ou à une volonté divine. Auguste Comte nous a appris que nous avons dépassé l'âge théologique et l'âge métaphysique. Nous vivons dans l'âge positif. Désormais la science des mœurs décrira ce qu'est une société saine, comment la vie sociale peut devenir normale. En effet, ce sont les façons de vivre elles-mêmes, communes à tous les hommes, qui constituent la règle de vie s'imposant à tous. (Cf. J. DE Romanet, La Communauté terrestre et la marche tiers l'Unité selon Auguste Comte, dans Cahiers du Monde Nouveau, décembre 1945 et janvier I946; lire notamment le chapitre intitulé: Élaboration d'une morale positive.)
Toute société doit ainsi copier une sorte de société « standard étalon ».
Tel est le modèle, la norme suivant laquelle il faut vivre.
De fait, l'opinion publique d'aujourd'hui professe, du moins confusément, cette morale positive. Notre peuple fait des « mœurs du jour » sa règle de vie. « Il faut agir comme tout le monde ». C'est le règne du « conformisme ».
On rejette ainsi toute morale formelle ; les moeurs des hommes remplacent la loi de Dieu. Cette sociologie positive basée sur une vue fausse de la vie sociale, se trouve donc incapable de déceler la nature exacte des maux sociaux et par conséquent elle ne peut y apporter les remèdes adéquats.
Elle commet, en particulier, trois erreurs fondamentales :
1) la sociologie positive nie l'existence du surnaturel, invisible et donc non sujet à expérience. Elle nie, par le fait même, la vraie fin de l'homme : la vie éternelle. Or, le sens même de la vie sociale est d’être tout entière orientée vers cette fin ;
2) la sociologie positive ignore l'existence de la grâce ; elle prétend n'agir que selon les données de la nature ; or, nous savons qu'il est impossible d'observer toujours en toutes choses la loi naturelle, sans le secours de la grâce ;
3) la sociologie positive n'admet pas l'existence d'une norme absolue et transcendante de moralité ; elle ignore la voix de la conscience ; elle prétend n'obéir qu'aux usages et aux coutumes de la société. Dès lors, elle ne peut concevoir qu'un seul moyen de créer l'ordre social : la contrainte. La sociologie positive ne trouve finalement de salut aux maux sociaux que dans la réglementation étatique et les doctrines totalitaires.
Face à cette sociologie positive se dresse la doctrine sociale catholique. Celle-ci professe, en premier lieu, la foi en la destinée éternelle de l'homme et, en second lieu, elle ordonne toute la vie humaine, privée et publique, individuelle et sociale, vers ce terme éternel.
L'Église est chargée de mener directement les hommes à cette fin ; tandis que l'État n'a qu'une mission indirecte à cet égard. L’État doit organiser la vie temporelle ; mais celle-ci doit être orientée vers la vie éternelle.
Dans la mesure où ces deux sociétés, l'Église et l'État, organisent la vie des peuples selon les normes énoncées, la vie sociale se déroule dans l'harmonie et la paix. Dans ce cas, il n'y a pas de problème social. Toutefois, cette hypothèse ne se réalise pas. En effet, des maux sociaux torturent en permanence l'humanité.
C'est ici que la foi catholique propose une thèse très nette. Il s'agit là d’un mystère, le « mystère d'iniquité » dont parle saint Paul.
La sociologie catholique professe, en effet, qu'il y a dans le monde une force intérieure qui, sans cesse, travaille en vue de troubler l'ordre social. Cette force est la manifestation de Faction diabolique dans le monde. Georges BERNANOS, dans Lettres aux Anglais, affirme, sa croyance en une action diabolique. 1l y dit notamment : « Je ne voudrais pas irriter les lecteurs incrédules en leur parlant du Diable, mais enfin ! Les journalistes et les chefs d'État se permettent bien de le désigner fréquemment sous le nom du Mal, de « Force du Mal», pourquoi me montrerais-je plus timide qu'eux?».
Il est donc indispensable que la sociologie tienne compte de l'action diabolique sur la société. — On ne peut se contenter de considérer l'action de Satan, dans chaque âme individuellement, il faut en voir également les répercussions sociales.
Ainsi que le dit Dom Vonier : « La tâche des historiens serait grandement simplifiée s'ils prenaient à coeur cette révélation du vrai cours des choses, faite par le Fils de Dieu qui voit tout : la vision d'une armée innombrable d'esprits impurs, incapables de se reposer en dehors des coeurs des hommes souillés par l'iniquité. L'exécration ou la profanation de vastes étendues de contrées chrétiennes devient aussi simple, par cette explication, que les marches d'une armée de Napoléon ». (Dom Anschaire VONIER, Christianus)
Dom Vonier parle aussi de « tentation collective ». Et l'Église elle-même n'échappe pas à celle-ci : « L'Épouse (l'Église) dit-il, suit son Époux (le Christ) sur les collines dénudées au delà du Jourdain, avec autant de fidélité que sur la cime du Mont Thabor ». Trop de catholiques ignorent encore cette action satanique sur la société ; ils font preuve d'une « insensibilité tout à fait incompréhensible pour un catholique à l'égard des dangers du monde invisible ».
Il y a donc lieu d'être toujours vigilant. C'est ainsi que Baudelaire a pu dire : « La plus belle ruse du Diable est de nous persuader qu'il n'existe pas » et de Rougemont ajoute : « Le premier tour du Diable est son incognito ».
Nous devons arracher au démon cette première victoire qui consiste à se faire oublier. Il faut, au contraire, tenter de faire la pleine lumière sur son action sociale. Sans doute, ici comme en tout il faut garder la mesure ; et si nous croyons en l'action diabolique dans le monde, nous croyons aussi que l'homme garde toute sa responsabilité dans les affaires terrestres. Il y a donc deux facteurs qui jouent simultanément pour provoquer les maux sociaux : la faiblesse des hommes et le mystère d'iniquité.
En vue de mettre en évidence l'action sociale du démon, nous voudrions successivement faire appel à l'Écriture, à la Liturgie, à la Théologie, à l'Histoire. Nous voudrions enfin mettre en relief la tactique développée par le diable pour conquérir les sociétés.
A SUIVRE
Extrait d’une brochure de M. Robert Kothen : L'ACTION SOCIALE DE SATAN
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