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Que sert à l'homme de gagner l'univers s'il perd son âme

15 janvier 2014 3 15 /01 /janvier /2014 12:33

« Toutes choses arrivent en nous bien avant qu'elles n'aient lieu », écrit Novalis. C'est vrai surtout de la mort. On meurt une fois dans sa chambre et son lit; on meurt tout le temps en soi-même.

 

Comment se fait-il qu'un phénomène aussi intime à ce point puisse nous être étranger? Il l'est; on ne peut le nier, et aux plus réfléchis d'entre nous comme aux plus frivoles. Renouvier, à quatre-vingt-huit ans, peu de jours avant sa mort, écrivait : « Depuis quelques jours, je remâche la même idée: Je sais que je vais mourir; je n'arrive pas à me persuader que je vais mourir. » « Abordez-les, disait Jules Soury à Barrés ; dites-leur : Vous mourrez! Ils seront suffoqués, comme s'ils avaient reçu un coup dans la poitrine. Ensuite, ils s’en remettront; ils diront : Je le savais bien! Mais ils ont été surpris. »

 

Les vivants passent à côté des morts ou les pleurent à grande voix comme si leur tour n'allait pas presque aussitôt venir. On a envie de leur dire : Ne regardez pas ce mort avec ces yeux effarés, vous lui ressemblez trop!

 

On dit tranquillement : « Feu Un tel », et l'on ne songe pas qu'on pourrait dire déjà : feu moi-même, feu l'instant où je parle, et que bientôt d'autres, le diront de nous.

 

Nous savons bien que la mort viendra; nous en parlons; elle sonne dans nos discours à propos de la vie, et c'est encore une façon de l'oublier au profit de la vie même.  

 

Toutes nos absurdes préoccupations, nos dé­sirs, nos passions, rendent pour nous la du­rée opaque; la lumière de l'évidence n'y passe plus.

 

Nous attendons la mort comme dans un temps fictif, vague, un temps anonyme, qui n'est pas celui de nos projets et de nos espoirs. Ce dernier, en dépit de nos certitudes conscientes, nous semble inviolable, indéfini comme celui des mathématiciens; la mort ne le menace point, et de cette illusion naît une effrayante sécurité. A peine de-ci, de-là disons-nous avec Amiel : « Comme le gouffre est près! »

 

A l'ordinaire, nous allons, et la route est devant nous sûre et sans terme. La mort, c'est pour les autres. Le compte des ans, les infirmités, le vide qui se fait autour de nous, la lecture du journal qui de plus en plus devient un inventaire de catastrophes et de morts, rien n'arrête l'hallucination, rien ne peut chasser le mirage.

 

La nature l'a voulu. La vie eût perdu, sans doute, à se sentir une parenté avec la mort. Mais que la nature nous trompe pour ses fins à elle, cela ne nous dispense pas de songer à nos fins à nous.

 

Doués de raison, ne devons-nous pas juger l'impulsion inconsciente, lui marquer ses bornes, et dire à la nature : Je sais! Tu fais ton œuvre; elle est belle, et j'y collabore; mais je sais aussi que toi et moi nous sommes mortels. Tes nébu­leuses, tes soleils, tes terres et tes hommes, nous coulons tous, au gouffre du temps, comme une liqueur, goutte à goutte. Le firmament spirituel seul est toujours là.

 

 

Extrait de : RECUEILLEMENT. Œuvre de A. D. Sertillages O.P. (1935)

 

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