La possession de soi-même, y compris Dieu et tout ce qui est de Dieu exige la solitude. C'est en soi-même seulement qu'on trouve ses objets; dans le dehors seul, on n'en trouve que les fantômes.
Une vraie présence n'est-elle pas une présence en esprit, éprouvée par l'esprit ? La solitude la permet donc dans ce qu'elle a de meilleur, auprès de quoi pèse peu la sensation de présence.
Dans la solitude, la vie se concentre, et pour cette même raison elle s'accroît; elle s'universalise; elle se déploie en hauteur et en profondeur. A travers la fragile cloison du moi, si transparente quand elle n'est pas encrassée de nos poussières, on perçoit la nature générale, l'humanité fraternelle et maternelle, et l'on pressent Dieu.
Quand je me livre au dehors, je me disperse; je ne puis donc posséder ni moi-même ni rien. Solitaire, je me retrouve avec ma vacuité besogneuse et avide, ma sympathie essentielle d'être associé à tous les êtres, associé a l’Être Suprême, et je puis appeler tout en moi.
Solitaire, dis-je : mais au milieu des hommes et dans le pire fracas extérieur je puis être seul. Il s'agit d'un esprit. Dans les deux cas, l'état profond de l'âme est identique, et c'est lui qui rend paisible et féconde la solitude ou la société.
Toutefois, une cure de solitude effective est de temps à autre nécessaire. Nous l'avons reconnu en ce qui concerne le début de nos journées ; en d'autres temps encore il y faut pourvoir. Dans toute vie, si active qu'elle soit, l'office de Marie complète celui de Marthe. A défaut de nous ressaisir, nous risquons de nous perdre dans le brouhaha des gens et des choses. Une nappe d'indifférence doit tomber sur des objets admis hâtivement et reconnus sans grandeur. A l'égard des meilleurs, la façon de les aborder, de les juger ou d'en disposer exige le même recueillement, car l'esprit de nos œuvres a besoin de venir de haut, et cet esprit vaut mieux que nos œuvres mêmes.
Léonard de Vinci écrivait : « La chambre d'une petite habitation rajuste l’esprit et grande, elle l'égare. » « On se refait dans la solitude, on s'use avec les hommes », disait un contemporain.
Ici, toutes les expériences concordent. L'Évangile les confirme en conseillant à son fidèle de fermer la porte de sa chambre. Claudel ajoutait : « car les ténèbres sont extérieures, la lumière est au dedans ».
Se quitter c'est mourir un peu, dit-on : à plus forte raison, tout quitter momentanément pour la solitude. Mais ici et là une lumière luit, notre horizon s'éclaircit; notre âme, à « mourir un peu », s'épure et s'allège, et l'on retrouve d'autant mieux, dégagées du sensible, la pure essence et la loi de ce qu'on a quitté.
Extrait de : RECUEILLEMENT. Œuvre de A. D. Sertillages O.P. (1935)
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