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Que sert à l'homme de gagner l'univers s'il perd son âme

24 novembre 2017 5 24 /11 /novembre /2017 02:45

JÉSUS-CHRIST À SOUFFERT SOUS PONCE PILATE…         

Dans le Symbole des Apôtres, qui nous est si familier, et dans celui de Nicée, qui se dit à la Messe, deux personnes seulement, en plus des trois Personnes de la Sainte Trinité, sont men­tionnées par leur nom. L'une d'elles est la Sainte Vierge Marie; et c'est bien naturel qu'elle y ait sa place, n'est-elle pas la pierre de touche de la vérité chrétienne ? Dire que la Sainte Vierge est la pierre de touche de la vérité revient à dire qu'on ne se trompe pas en se référant à elle pour juger d'une doctrine, surtout lorsqu'il s'agit de l'Incarnation. S'il vous arrive par exemple de dis­cuter avec quelqu'un dont les idées vous paraissent un peu étranges, dites-lui donc simplement : « Vous croyez, n'est-ce pas, que la Vierge Marie est la Mère de Dieu ? ». A la réaction vous juge­rez immédiatement de son orthodoxie : s'il tergi­verse, s'il louvoie, faites attention : vous n'avez pas devant vous un catholique cent pour cent; vous avez vu cela à la pierre de touche.

L'autre personnage désigné nommément est ce pauvre Pilate ! Il ne croyait même pas à la vérité ! Je l'appelle « pauvre Pilate » parce qu'il donne vraiment l'impression d'un triste individu ! On le représente quelquefois, dans les Chemins de Croix surtout, comme un homme terrible et méchant, alors qu'il fut surtout désespérément faible ! Indé­cis, cauteleux, cet homme n'était pas taillé pour être procurateur !

Ce qu'il y avait peut-être de plus redoutable en lui, c'était ce besoin de plaire à tout le monde. Il aurait voulu plaire à Caïphe, à la populace, à sa propre femme; plaire au Christ, à Hérode, à Joseph d'Arimathie. Et, en fin de compte, comme la plupart de ceux qui veulent plaire à tout le monde, il ne plaisait à personne. Lorsqu'il dut résigner son office, les Juifs allèrent jusqu'à Rome porter plainte contre lui, tant son adminis­tration avait été déplorable ! Ainsi en fut-il pour ses frais.

Et nous autres, chrétiens, nous achevons de dis­créditer ce pauvre homme dans le monde entier avec notre Credo. Partout, jusqu'à la fin des temps, on y erra en Pilate le malchanceux qui essaie de couvrir sa retraite, en se lavant les mains devant le public. Il y a près de Lucerne, en Suisse, un mont Pilate qu'entouré une légende séculaire, d'après laquelle le corps du Procura­teur romain serait enseveli tout au fond d'un lac, au sommet de la montagne. Et le même Procurateur apparaîtrait, dit-on, de temps en temps aux touristes, qui errent dans la contrée et se lavent les mains.

« Qu'est-ce que la vérité ? » (JN, XVII, 38), avait demandé Pilate. Et voilà que sa place à lui est maintenant au beau milieu de notre Credo, comme si l'Eglise voulait l'obliger à témoigner de cette vérité méconnue, comme si elle lui disait à tra­vers les siècles : « Sot que tu es, la Vérité est là et pas ailleurs. »

Pourquoi faut-il que ce témoin ce soit lui, et non les autres ? Lui, le faible, et non les méchants, Ponce Pilate et non Judas ou Caïphe ? Il doit y avoir à cela quelque raison profonde. Ne serait-ce pas d'abord que le fait d'inscrire le nom de Pilate dans un document capital, celui-là même que l'Eglise propose à ceux qui veulent entrer dans son sein, souligne à merveille la place historique de la religion chrétienne; il la situe à un point bien déterminé dans le cours des âges. Jésus-Christ n'est pas un personnage imaginaire, de ceux dont on commence l'histoire en disant: «Il y avait une fois...» Ce n'est pas un person­nage de mythe comme Osiris ou Jupiter. On sait d'une façon indiscutable qu'il fut charpentier et vécut en Palestine, c'est-à-dire à peu près sous le 33e degré de latitude, le 35e de longitude, et au temps de l'empereur Tibère, .sous l'administration locale de Ponce Pilate, il y a de cela un peu plus de mille neuf cents ans.

En s'incarnant, Dieu voulait te mettre à notre niveau. Le Verbe, qui déborde le temps, consentait à naître la. 753" aimée après la fondation de Rome ou approximativement; il se soumettait à la dépendance des années, des jours, des minutes. C'est cet épinglage de la Révélation chrétienne sur un moment particulier de l'histoire, sur un contexte historique bien déterminé, que l'Eglise nous fait remarquer en nous mettant chaque jour sur les lèvres ces paroles : « Je crois que Jésus-Christ a été crucifié sous Ponce Pilate. »

Les historiens ne sont pas d'accord sur la date exacte de la naissance de Nôtre-Seigneur Jésus-Christ. Il se peut que l'ancien calcul soit fautif et que la date réelle corresponde à l'année IV ou même à l'année VIII avant l'ère chrétienne. Peu importe après tout que chacun tienne à son idée comme à la seule valable, mais il serait impos­sible de se tromper de plus de dix années au sujet de la mort de Jésus. On doit reconnaître comme date limite, soit l'an 26, soit l'an 36 de notre ère, qui marquent le commencement et la fin de l'ad­ministration de Ponce Pilate. On peut hésiter sur l'une ou sur l'autre, mais non les dépasser en avant ou en arrière sans hérésie, puisqu'elles sont implicitement indiquées dans le Credo, la règle de notre foi. E| si l'on vous demande : « Pourquoi Dieu a-t-il choisi ce moment de l'Histoire plutôt qu'un autre ? La réponse est encore : « Il fallait que ce fût « sous Ponce Pilate ». Le gouverne­ment de la Judée par Pilate représente exacte­ment les dix années les mieux appropriées à l'évé­nement, dans toutes les annales de l'humanité. »

Environ trois cents ans avant la naissance du Christ, le roi de Macédoine, Alexandre le Grand, qui gouvernait déjà toute la Grèce, se mit en devoir de conquérir l'Asie, A sa mort il régnait sur tout le Proche-Orient, la Turquie, l'Iran, l'Irak, l'Égypte et, comme par hasard, la Pales­tine. Son empire fut démembré après sa mort, mais il avait réalisé l'unité de langage dans tout l'Orient civilisé. Partout l'on y parlait le grec, je ne dis pas un grec impeccable. Vous voyez tout de suite quel avantage énorme cette circons­tance représentait pour la Révélation qui se pré­parait et qui, venant du ciel, devait atteindre tous les peuples. Durant les quelque cent cinquante ans qui précédèrent immédiatement la venue du Sauveur, l'Empire romain imposait sa domination sur le monde. Nummius conquit la Grèce, Scipion Carthage, Pompée l'Espagne et César la Gaule, D'une manière ou d'une autre l'Empire s'étendit bientôt sur tout le monde méditerranéen, du Por­tugal à la Perse; partout régna la paix; le com­merce, facilité par un réseau de routes splendides, était florissant. Un tel état de choses supposait une administration parfaite; l'ordre, en effet, était assuré par des fonctionnaires et officiers dont quelques-uns, comme Pilate, étaient platement asservis au pouvoir, mais dont beaucoup étaient des hommes de valeur. Au moment où parut Nôtre-Seigneur, il n'y avait donc qu'un vaste empire, l'Empire romain, et qu'une seule langue, la langue grecque. Jamais pareille chose ne s'était produite dans l'Histoire et ne devait se reproduire dans la suite; Nôtre-Seigneur venait donc au mo­ment le plus opportun. Plus exactement la Pro­vidence avait tout préparé en vue de l'avènement du Fils de Dieu sur terre. Trente ans plus tôt, il aurait trouvé le monde encore engagé dans une longue série de guerres civiles. Soixante-dix ans glus tard, Jérusalem ne devait plus être qu'un amas de ruines. Ces cent années représentent donc le temps idéal qui devait rendre particulièrement favorable la diffusion de l'Évangile.

Mais laissons l'Histoire et revenons à l'impor­tance théologique de ces paroles du Credo : « Il a souffert sous Ponce Pilate. » Peut-être serons-nous amenés ainsi, en le récitant, à réfléchir sur le fait que la religion chrétienne a un ennemi séculaire, toujours le même : le monde. Le mot « monde » a plusieurs significations. Il ne peut être question ici, cela va de soi, du globe sur lequel nous vivons, cette sphère légèrement aplatie aux pôles et qui opère sa révolution annuelle autour du soleil. On peut entendre encore par « monde » l'ensemble des êtres humains, blancs, noirs ou jaunes, bons, mauvais ou indifférents, qui peuplent ce globe. Mais l'expression désigne aussi, et c'est le cas auquel nous nous référons en ce moment, l'en­nemi n° 1 de la religion chrétienne. Allons un peu au fond de la question. Que voulons-nous dire lorsque nous parlons d'une personne mondaine ? La définition en est assez malaisée. Disons, grosso modo, que l'on pourrait appeler mondain celui qui ne croit pas à une autre vie ou qui, du moins, ne s'en soucie pas plus que si cette vie était insignifiante. En conséquence, il essaie de rendre ce monde-ci confortable; avant tout, que l'on y jouisse et qu'il y ait beaucoup de jouis­seurs ! Il va sans dire que le mondain souhaite être de ceux-là. Que dans ce monde idéal tout marche à souhait; que les trains soient aussi exacts que possible, la nourriture, la boisson, le cinéma le moins cher possible, les journaux le mieux renseignés possible; enfin que rien ne vienne troubler la paix des honnêtes gens ! Cha­cun pour soi et Dieu pour tous, telle serait volon­tiers la devise du mondain.

N'est-ce pas exactement ce que Pilate repré­sente ? Il ne se souciait aucunement que Nôtre-Seigneur fût ou non le Fils de Dieu, qu'il eût ou non transgressé le Sabbat, qu'il fût ou non obser­vateur de la loi de Moïse. Ce qu'il voulait, lui, Pilate, c'était contenter suffisamment les Juifs pour que ceux-ci le laissent en paix. Il n'aimait pas entendre les foules crier: « Hosanna au Fils de David ! » (Mt, XXI, 9), et pas davantage : « Qu'il soit crucifié! » (Mt, XXVII, 23.) Car tout cela n'était pas de bon augure pour la sécurité publique. Aussi y mettait-il bon ordre. Ce ne fut pas Judas, remarquez-le, ce ne fut pas Caïphe qui crucifièrent Jésus, S'ils l'avaient fait, après tout, ils auraient eu à cela quelque motif valable. Caïphe et les autres avaient du moins pour excuse leur amour-propre professionnel blessé. Judas avait une excuse plus plausible, lui : les trente pièces d'argent ! Mais Pilate ?... Il n'avait rien contre Jésus; il en était même impressionné favorablement, car il était plus que certain de l'inno­cence de ce prévenu exceptionnel. Et pourtant, ce fut Pilate qui le crucifia. C'est le monde des mondains, avec sa peur des compromissions, son horreur des « histoires », sa doctrine de chacun pour soi, qui crucifia le Seigneur.

Loin de moi de suggérer que Jésus mourait pour avoir désobéi aux pouvoirs publics. Trop de gens ont depuis vu dans le Christ un agitateur politique. Rien n'est plus étranger à la vérité que ces vues subversives. Il est vrai que Jésus a traité les pha­risiens d'hypocrites, qu'il a appelé Hérode un « renard » (Luc, XIII, 32), mais nous ne lisons pas une seule fois dans l'Évangile qu'il ait manqué d'égard envers les autorités romaines. Le jour où, devant lui, on fit allusion à un certain massacre de Galiléens dont Pilate avait été l'auteur, Jésus détourna la conversation. Et quand on lui de­manda son avis sur le tribut à payer il répondit : « Rendez à César ce qui est à César... » (MT, XXII, 25.) .11 est curieux d'observer que, vivant en Palestine, à une époque où les Romains faisaient figure d'occupants et devaient à ce titre être détes­tés, Nôtre-Seigneur n'a pas levé contre eux le petit doigt. Ce n'était pas son affaire de s'immis­cer dans des querelles politiques... et ce n'est pas non plus l'affaire de son Eglise.

La vraie raison pour laquelle Pilate, en défini­tive, consentit au crucifiement de Jésus, c'est que tout l'enseignement de Jésus était un défi aux mondains, qui voient dans le monde actuel l'en­droit rêvé, qui y cherchent éperdument leur confort, sans souci d'un ciel, ni d'un enfer. Et c'est aussi la raison pour laquelle l'Eglise, de siècle en siècle, a été persécutée, sur un point du globe ou sur un autre. C'est qu'elle n'a jamais trahi sa mission de parler au monde, de lui rap­peler des vérités qu'il n'aime pas entendre. Et c'est pourquoi le monde la trouve gênante. Que vient-elle lui parler d'un ciel et d'un enfer ? Tout cela, que nous le voulions ou non, c'est tout de même un peu notre histoire, à nous aussi. D y a toujours, pour chacun de nous, la tentation de minimiser les exigences de notre christianisme. Que ce soit par respect humain ou pour d'autres raisons, nous traitons le péché comme une chose sans importance. Pourquoi se tourmenter de ce que Dieu peut en penser ? Pourquoi gâter le pré­sent par la pensée de ce qui suivra, ciel ou enfer ? Autant il serait maladroit de rebattre à tout bout de champ les oreilles des autres avec nos croyances, autant c'est prudence élémentaire de nous garder nous-mêmes contre la tentation de mondanité, au sens où nous venons d'en parler. Quand nous récitons dans le Credo les mots : « A souffert sous Ponce Pilate », tâchons de nous rap­peler ce qui vient d'être dit, et qu'un chrétien est indigne de son nom, s'il prodigue ses flatteries à Ponce Pilate, c'est-à-dire au monde.

Extrait de : LE CREDO  Mgr Ronald KNOX. (1959)

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