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Que sert à l'homme de gagner l'univers s'il perd son âme

7 juillet 2015 2 07 /07 /juillet /2015 08:49

Chapitre III

La maladie, la mort, le jugement ! Trois termes auxquels on ne saurait échap­per : le premier est douloureux, le second est effrayant, le troisième est formidable. Post hoc autem judicium.

On peut, à la suite des années, et grâce à l'expérience acquise, concevoir des dégoûts salutaires de la vie. Tout ce qui nous a souri sur la route n'avait-il pas le caractère de la fragilité et souvent de l'erreur? Ne sommes-nous pas déjà les survivants de tout ce qui nous a aimés? Le bien désiré n'est pas venu ; le mal redouté a dépassé nos prévisions. La vie qui se prolonge n'améliore pas toujours la vie. Mourons donc ; car « nous ne sommes pas meilleurs que nos pères » (IIIe L. des Rois, XIX 4). Mais, par un mouvement contraire, si avec les années et l'expérience l'amour de la vie diminue, la crainte du jugement augmente. C'est excusable à la jeunesse de ne rien craindre, pas même un juge, c'est-à-dire de n'y point penser. Quand on arrive à cet âge où le chrétien se prend à peser dans sa main l'emploi qu'il a fait du temps ; quand il accumule d'une part les grâces reçues, les pardons cent fois répétés, des communions assez nom­breuses pour composer plusieurs ciboires pleins d'hosties ; et d'autre part, les réso­lutions négligées, les habitudes toujours vivaces, les chutes et les rechutes, quelles raisons fondées n'a-t-il pas d'appréhender ce qui suit la mort ? Qu'en adviendra-t-il de moi? Pour résoudre la question, je me jette dans l'Évangile, et l'Évangile me reçoit d'abord avec un faisceau de paraboles et de menaces qui rendent ma crainte aussi profonde que surnaturelle. Les menaces ! « Malheur à toi, Corozaïn, et à toi, Bethsaïde ; car si les pro­diges opérés chez vous eussent été opérés dans Tyr et Sidon, Tyr et Sidon au­raient fait pénitence dans la cendre et le cilice : Aussi je vous le dis, ces deux villes, au jour du jugement, seront trai­tées plus favorablement que vous » (Saint Matthieu, XI, 21 et 22) Même parallèle entre Capharnaùm et la terre de Sodome, et même déclaration.

Dirai-je que ceci regarde tel publicain et non pas moi ?...

« Malheur à vous, riches, qui avez votre consolation en ce monde !» — « On redemandera beaucoup à celui à qui on aura beaucoup donné. » — « Si vous ne faites pénitence, vous périrez tous » (Saint Luc, XII et XIII.). Voilà qui me regarde ; j'ai beaucoup reçu, j'ai peu fait de pénitence. Impossible de taxer l'Évangile de trop de sévérité.

Les paraboles ! Elles se dressent aussi devant moi et chacune me donne le mot qui me convient. Ai-je oublié ce qui arrive au serviteur qui a veillé pendant la nuit, attendant le retour de son maître, et ce qui arrive à celui qui n'a pas veillé ? (Saint Luc, XII ).

— N'y a-t-il donc rien pour moi dans cette distribution de talents divers, ren­dus féconds par les uns, enfouis par les autres, et dans le jugement équitable qui termine la parabole ? (Saint Luc, XX).

— Le père de famille appelle son éco­nome infidèle et lui dit : Rends compte de ton administration. Mon Dieu, le père de famille, c'est vous ; l'économe trop infidèle, c'est moi ; et entre vous et moi, le jugement un jour !...

— Ainsi se par­lait un mauvais riche : « Tu as des biens en réserve pour de longues années : re­pose-toi, mange, bois, fais bonne chère. » Et Dieu lui dit : « Insensé, cette nuit-là même on te redemandera ton âme » (Saint Luc, XII.). Et l'insensé, c'est moi, me fixant en cette terre, comme si je ne devais jamais la quitter. Dieu s'apprête à m'en faire sor­tir, et me redemande mon âme et la vie.

— Voici que la salle du festin s'est rem­plie de convives, quoique à grande peine ; le roi apparaît au milieu, et, remarquant un homme, il lui dit : « Mon ami, com­ment êtes-vous entré ici, non revêtu de la robe nuptiale ? » Et l'homme se prit à trembler. Et le roi dit à ses ministres : « Jetez-le, pieds et poings liés, dans les ténèbres extérieures ; là il y aura pleurs et grincements de dents » (Saint Matthieu, XXII, 13.10).

Encore ma personne dans la parabole ! Il me semble que je suis cet homme qui, inter­rogé, se prend à trembler sous le regard du grand Roi. Jetez-le !... Mais non, pitié, mon Dieu, selon l'étendue de votre mi­séricorde ! La salle de l'éternel festin n'est pas encore ouverte pour moi ; si je le veux, j'ai le temps de revêtir la robe nuptiale.

— Et les vierges, allant au-devant de l'époux, et la voix criant, de la maison fermée, aux imprudentes qui vont chercher l'huile pour leurs lampes, quand il est trop tard : Nescio vos, je ne vous connais pas ! Si j'étais de cette foule des tièdes et des indifférents ; si la sentence était pour moi : Je ne vous con­nais pas !...

Faut-il fermer le livre, parce que ma crainte augmente à toutes les pages ? Non ; ces pages me captivent et m'instruisent.

Quand j'ai lu longtemps, et que j'ai accumulé les avertissements, les menaces, les paraboles, j'ai encore deux mots pour tout terminer, deux mots qui me préci­pitent à genoux, le front dans la pous­sière : lie maledidi!... — Venite, benedicti Patris mei!... Me voilà au point culminant de mes terreurs ; mais c'est là aussi que le crucifix m'apparaît. Il n'y a pas de parole si terrible de l'Évangile, que la croix ne couvre de son onction, remplissant le cœur d'une con­fiance égale à la crainte. Petit nombre des élus ! Me disent les uns. Grand nom­bre des élus ! Me disent les autres. Et qu'importe qu'ils me parlent ainsi? Le nombre des élus serait encore plus petit que je pourrais en être ; il serait encore plus grand que je pourrais n'en être pas. Le crucifix ne me dit pas des généralités ; il me parle du jugement dans la mesure qui me convient : la crainte qu'il m'ins­pire est sans désespoir ; la confiance qu'il met en mon âme est sans présomption. Par lui, je touche du doigt, ce qui, dans ma vie coupable, est le sujet précis qui doit me faire craindre, et j'apprends à le corriger ; et par lui je reconnais les mo­tifs propres que j'ai d'espérer, et com­ment je puis les amplifier.

Quand j'ai l'image de mon Rédempteur devant les yeux, il m'appartient de dire comme saint. Paul : « Il m'a aimé et il s'est livré à la mort pour moi. » Que manque-t-il à cette parole pour rassurer mon âme ? Elle m'atteint directement ; elle ne me confond pas dans la foule. L'amour qu'elle exprime est indiscu­table, efficace ; il est pour moi! Il m'a aimé, et voilà pourquoi il s'est livré ; il m'aime toujours, et voilà pourquoi il me sauvera.

Sans doute la rédemption ne peut me conduire au ciel, sans l'application que je dois m'en faire à moi-même. Mais jesus-christ y travaille le premier. Il est Rédempteur en versant son sang ; il l'est en m'en appliquant les mérites. Sa miséricorde poursuit mon salut à outrance. Des occasions que j'ignore de­vaient me conduire à ma perte ; il les a écartées. D'autres ont réussi à me saisir ; il en a amoindri l'effet ; il m'a relevé de la chute. Je combine des projets pour le mal ; il les entrave. Je reste libre, et ce­pendant sa miséricorde me contraint à combattre avec lui et pour moi. Je ren­verse et il restaure ; je me ruine et il re­compose ma fortune. Non, il n'y a rien de si instantané dans la nature qui le soit autant que ce sang de jésus pour m'apporter, dès que je le veux, le par­don, la lumière et la force.

O mon maître, je crois fermement, là, dans les révélations du crucifix, que vous aurez le dernier mot de ce combat singulier, entre un homme qui agit comme s'il voulait se perdre, et vous qui faites tout pour le sauver. A chacun selon ses œuvres; mais la miséricorde prend le devant pour que les œuvres soient bonnes. Bientôt je serai face à face avec la justice, et la miséricorde me précédera une dernière fois, en m'assurant la mort d'un prédestiné : « Cette espérance re­pose en mon cœur. » (A suivre)

Extrait de : LES CRUCIFIX de l’abbé Chaffanjon. (1925)

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