Chapitre II
Même si je crains la mort en elle-même. Est-ce faiblesse de caractère et manque de virilité ? Est-ce attachement désordonné pour ma personne, créant une délicatesse excessive ? Est-ce insuffisance de christianisme ? Nul doute que ma frayeur ne tienne de tout cela à la fois.
Il ne manque pas d'hommes qui, sur ce sujet, ont de fières paroles. Mourir, disent-ils, cela ne me fera rien. Parlent-ils bien de l'abondance du cœur? Car il semble que la mort nous est imposée, pour que cela nous fasse quelque chose. — Mourir ? Le plus tôt sera le mieux... Cette parole rappelle celle du Sauveur à Judas : « Fais au plus vite ; » mais il est permis de douter qu'on la dise dans le même esprit ; et je vois qu'elle n'empêche pas ceux qui la prononcent d'employer avec conscience tout ce qui peut retarder la mort.
Mais je m'incline avec respect, et avec une piété jalouse, devant les paroles des saints. Eux peuvent me parler de la mort, parce que le désir qu'ils en ont est réel, aussi réel que leur soif de la vision intuitive. Ils m'apparaissent comme des soldats au pied des remparts, attendant avec impatience le signal du dernier assaut. «Je désire mourir pour être avec le christ ; » tout l'âme de saint Paul est dans cette sublime parole: on sent qu'il dit vrai. Le mot de saint Jérôme me bouleverse, comme la plupart de ceux qui jaillissent de sa rude éloquence : « O mort, tu es noire, mais tu es belle. » C'était vrai pour lui, à la suite des macérations dont il avait rempli son désert de Chalcide, après ses vastes travaux dans l'interprétation des Écritures. Pour moi je trouve, la mort noire; je ne sais pas la trouver belle. Oui, c'est une vie passée dans la prière et dans un saint labeur qui peut seule transfigurer la mort. Et si l'on tremble, il est permis de se raffermir par cette parole d'un autre saint : « Voilà si longtemps que tu sers le christ ; et tu as peur? »
N'importe, la mort reste ce qu'elle est, une séparation, une destruction à laquelle je répugne de toute la force de mes instincts : elle reste la grande peine du péché.
Il est dans la nature que j'éprouve des terreurs, et il est dans l'ordre de la grâce que je les discipline : la crainte dans le calme et dans la confiance, tel est l'idéal à réaliser. Or, comment y parvenir?
Je viens déjà de l'indiquer. Si je remplis ma vie de Dieu et de son amour ; si je la consacre au service du prochain et de la vertu, toutes mes puissances, prenant une direction ferme et bien accentuée de ce côté, se laisseront difficilement intimider. Je serai dans la condition de l'athlète qui, se sentant fort et exercé, ne frémit plus à la pensée du combat qui l'attend.
Il arrive pour l'âme un moment où elle remplace une disposition pénible, et jusque-là dominante, par une disposition meilleure, qui restera souveraine jusqu'à la fin. Ce moment est celui où aimant Dieu par-dessus toutes choses, elle ne laisse rien d'obscur et d'indécis dans la conscience et dans la volonté. Alors, « l'amour chasse la crainte. »
Un fossé seulement la sépare de Dieu et de la fin du combat ; elle ne redoute plus de le franchir. Le sentiment qui lui fait désirer Dieu l'emporte sur le sentiment qui lui fait appréhender le trépas. L'impression pénible restera peut-être, mais moins invincible que je le suppose. — N'y a-t-il pas encore quelques moyens pour l'atténuer ?
Quand un enfant tremble de peur à cause du bruit qu'il croit entendre dans le lieu voisin, on le guérit en le prenant par la main et en le faisant juge sur place de son erreur. Ainsi, il m'est utile de voir mourir, et surtout d'aider à mourir.
C'est une des plus saintes choses de la charité que d'apparaître et de se tenir au milieu de l'agonie d'un frère et de l'assister jusqu'au dernier souffle. On lui présente le crucifix, on lui montre le ciel en disant : Courage ! On murmure à son oreille ces trois termes, qui ont Dieu pour objet : Je crois, j'espère, j'aime ! Tous les trois, s'ils n'ont pas rempli le cours de la vie, doivent en remplir la fin. Et maintenant, « partez, âme chrétienne !... » (A suivre)
Extrait du : LES CRUCIFIX de l’abbé Chaffanjon. (1925) CHAPITRE VIII
elogofioupiou.over-blog.com