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Que sert à l'homme de gagner l'univers s'il perd son âme

28 juin 2015 7 28 /06 /juin /2015 13:31

Le Crucifix remplace et résume toutes les choses religieuses que je n'ai plus. Il me tient lieu de l'église, dont j'aimais les parvis ; de l'autel et du taber­nacle, qu'il m'était doux de regarder, et que je ne verrai plus; des assemblées chrétiennes dont je suis privé; des livres saints, que je ne puis ouvrir. Parce qu'il me reste, je subis sans amertume toutes ces privations. Quelle place importante il occupe dans ma maladie ! Il est mon Psautier et mon Évangile. Je le prends, je le quitte; j'y reviens des mains, des lèvres et surtout du cœur; car il y pro­voque mes invocations et les reçoit; il prie et me fait prier. Que dis-je ? Il m'or­ganise dans ma maladie et ne souffre pas que je laisse en retard la question essen­tielle qui se traite avec le prêtre, et la question temporelle qu'il ne m'est pas permis de négliger. Toutes ces décisions s'affirment par des traits rapides qui par­tent de la sainte image, et que je ne sais pas même lui attribuer, dans les heures brisées du jour, ou dans les longues insomnies de la nuit, alors qu'il est seul à veiller avec moi. Car il faut en avoir fait l'expérience pour comprendre jus­qu'à quel point le crucifix et le malade se conviennent.

Et ce n'est pas tout ; mourir longue­ment est chose dure et dangereuse. Le caractère et l'esprit sont exposés à flé­chir, l'un dans la pusillanimité, l'autre dans l'aigreur; de là le découragement pour la volonté. On accuse le temps, les remèdes, les personnes et soi-même. Trop souvent les exigences dépassent toute mesure, et les prétentions se font dérai­sonnables. De son lit, on veut encore gouverner et juger ce qu'on ne voit pas et ce qu'on ne sait plus.

Le malade chrétien qui en vient là donne un lamentable spectacle. Ce serait l'heure au contraire de se montrer un autre jésus-christ, puisqu'il est un autre crucifié. Pour cela, il lui faut son modèle et son guide. Le rôle du crucifix est ici incontestable. Lui seul ramène dou­cement le malade à la patience, qui lui échappe ; il lui inspire la bonté recon­naissante pour ceux qui le servent; il calme ses agitations inquiètes ; il arrête soudainement la plainte ou lui donne son caractère chrétien; il met sur le vi­sage du patient un reflet de douceur em­prunté au visage de jésus-christ; il dompte enfin toute cette nature humaine, si peu endurante et si facile aux écarts. Faire de cet homme de douleurs un saint, c'est un grand triomphe obtenu dans ces moments où, de la part de l'homme, tout semble rendre le triomphe impossible. Et c'est aussi un grand spectacle qu'un chrétien aux prises avec la souffrance, gardant la force de son âme, simple et sans phrase dans l'épreuve, docile comme un enfant à l'action de la croix.

Dans ce grand travail de sanctification — et au milieu des prospérités de la vie, il ne fut jamais si grand — il se produit une disposition bien digne de remarque. La pensée de la mort vient tempérer l'actualité de la maladie; la perspec­tive redoutable apaise la réalité cruci­fiante. Le disciple veut mourir comme son Maître; il veut donc aussi souffrir comme lui.

La souffrance, qu'est-elle, sinon un purgatoire et une réparation ? Puisque le temps est encore là et qu'il presse, le chrétien va se hâter d'être bon. Il est au vestibule du ciel, il le sent ; c'est la dernière heure de l'ouvrier à la vigne du Seigneur, la dernière pour s'accuser de n'avoir pas aimé, la dernière pour aimer.

Oh ! Comme alors les avertissements de l'Évangile sont pieusement entendus : « Faites de dignes fruits de pénitence. »

— « Le royaume de Dieu est proche, veillez ; vous ne savez ni le jour ni l'heure. » — « Heureux le serviteur que le maître, en rentrant, trouvera dans une veille consciencieuse ! »

Nous nous trom­pons, comme des hommes qui n'ont pas les réflexions du dernier moment, quand nous pensons qu'un tel langage va effrayer le chrétien mourant, en ruinant ses espérances de vie. Peut-être, en effet, n'avons-nous pas le ton qu'il faut pour lui dire que tout va finir. Mais présen­tons-lui son Livre, et il saura se résigner et attendre «la lampe dans les mains ».

O mon frère, quand viendra pour vous la maladie, souvenez-vous du crucifix. (A suivre.)

Extrait du : LES CRUCIFIX de l’abbé Chaffanjon. (1925) CHAPITRE VIII

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