Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog

Que sert à l'homme de gagner l'univers s'il perd son âme

26 juin 2015 5 26 /06 /juin /2015 19:09

Au-dessous des pieds de mon cruci­fix sont disposés deux ossements, et l'effigie d'une tête de mort les domine. J'ignore quel est le chrétien qui, le pre­mier, eut l'idée de clouer ainsi à la croix le spectre de la mort. Deux raisons, sans doute, ont suggéré cette pieuse inven­tion. La lugubre image est placée là, comme un trophée aux pieds du vainqueur, et semble redire la parole dus saints Livres : O mort ! Où est ta victoire ?

Elle est placée là, pour apprendre que ce n'est pas ailleurs qu'il faut réfléchir à sa fin prochaine, et méditer les années éternelles. Toute étude du trépas, faite sans référence au crucifix, laissera au cœur de celui qui s'y livre peu de consolation et encore moins de courage.

Écarter cette redoutable perspective, je ne le puis pas ; m'en étourdir dans une vie de plaisir et d'affaires, je ne le veux pas ; emprunter les ressources d'une phi­losophie naturelle et me poser en Socrate devant la coupe empoisonnée me semble vide et mensonger ; je ne saurais ni prendre ni soutenir un tel personnage.

Poussé par le temps, comme un pauvre débris qui tous les jours perd quelque chose, je ne veux aller qu'à vous, ô mon maître, pour méditer sur l'appel suprême et pour m'y préparer. Vous seul pouvez l'entourer de grandeur, de force et d'espérance ; vous seul savez calmer les terreurs du condamné. C’est donc dans vos bras, à vos pieds, près de votre côté entr'ouvert, que je viens aborder l'irrémissible décret : « Il a été statué que l'homme mourrait une fois, et après cela le jugement». (Saint Paul aux Hébr., IX, 27.)

I

Je ne dissimulerai pas que la mort est pour moi pleine d'épouvante, et je veux dire simplement, au pied du crucifix, tout ce que je redoute.

Je crains non seulement la mort, mais ce qui la précède, je veux dire la mala­die ou l'infirmité incurable qui m'use peu à peu. En allant au fond de ce malaise, touchant la destruction, peut-être devrais-je conclure que je crains la lutte doulou­reuse et prolongée plus que la mort elle-même. Et cependant, si Dieu me donnait de régler le cérémonial de mes derniers moments, j'ignore à quoi je saurais me résoudre. Choisirais-je le mal qui foudroie, ou le mal qui procède avec mesure ? Celui dont on sent toutes les pointes acérées, ou celui qui laisse inconscient ?... Il est juste, ô mon Dieu, et il m'est bon que vous soyez le seul maître de tout cela.

J'ai besoin de me faire ce tableau d'avant la tombe, parce qu'il est plein d'enseignements.

Je suppose donc que je m'en irai de ce monde par la maladie; elle commence: que le nom du Seigneur soit béni ! Le mal et l'art de guérir vont se disputer à la fois un pauvre corps, victime forcée de leur expérience et de leurs épreuves.

C'est la lutte; non pas debout, mais dans cette position que l'homme accepte, la nuit, pour prendre son repos, et qui, le jour, devient son humiliation. Me voilà livré à ceux qui ont la charité de me servir. Les murs d'une chambre devien­nent mon seul horizon. C'est ici que va se dérouler, heure par heure, le drame obscur de ma passion.

Si jusque-là j'ai manqué de règle et de modération, il faudra m'y soumettre ; mes désirs seront traités comme les caprices d'un enfant. Pendant le jour, j'aurai au­tour de moi des visages connus, mais pendant la nuit ce sera une figure étran­gère : heureux si elle m'apparaît sous le voile d'une fille de la charité. Le plus sou­vent, tout se fera à l'encontre de mes goûts ; quand je voudrai être seul, les visiteurs se multiplieront ; quand je suc­comberai sous le poids de l'isolement, l'isolement se prolongera.

Et j'entendrai autour de moi le mou­vement de la vie agissante. Quels regrets de n'y point participer ! Quelles réflexions sur ce bien temporel de la santé, appré­cié seulement quand on ne l'a plus ! N'est-ce pas douloureux que cette sus­pension forcée dans la pratique de sa vie, de son travail, de ses plaisirs, de son cer­cle d'amis? Tout est supprimé, moins les préoccupations, aussi vaines que déchi­rantes. Pourquoi la nature est-elle la même, et le soleil aussi radieux, et les hommes aussi empressés? Volontiers, on s'en étonnerait, car on ignore toujours combien est petite la place qu'on occupe en ce monde. Comment échapper à moi-même et me distraire ? Lire ? Je ne le puis. Soutenir une conversation ? Mes forces s'y refusent. Voilà donc un chrétien aux abois ? Non, s'il sait se faire une sainte pratique du crucifix. Sans doute on peut être malade sans lui, mais on n'est grand dans la maladie que par lui. (A suivre)

Extrait du : LES CRUCIFIX de l’abbé Chaffanjon. (1925) CHAPITRE VIII

elogofioupiou.over-blog.com

Partager cet article
Repost0

commentaires