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Que sert à l'homme de gagner l'univers s'il perd son âme

14 mars 2013 4 14 /03 /mars /2013 01:15

Lettre du Révérend Père de S... à Madame de C…

 

Pourquoi, ma chère Henriette, vous ai-je parlé du culte de soi-même dans la piété, et de ces dé­votions bizarres qui prêtent si fort au sarcasme des incrédules ? Oui, pourquoi ? Je ne redoute pour vous aucun de ces défauts ; mais vous ne devez point vivre uniquement pour vous-même ; vous aurez des enfants à élever, des inférieurs à diriger.

 

Julien est grand agriculteur, peut-être dans quel­ques années viendra-t-il se fixer sur ces terres. Là, beaucoup d'ignorants réclameront de vous l'exemple et le conseil. Je vous indique à l'avance les abus à détruire ou à prévenir, comme un bon guide signale au départ les endroits difficiles ou périlleux de la route- Vous rencontrerez à l'état de réalité brutale ce qui vous paraît peut-être sous ma plume l'exagération d'une critique fantaisiste. Vous aurez encore des surprises, je vous en avertis ; l'ignorance et la sottise vous apparaîtront où vous ne les at­tendez pas. Je ne veux vous citer qu'un seul trait. J'étais en mission dans un gros bourg. La population est dominée là par une famille de bourgeois très autoritaire, mais passant pour très chrétiennes. Il me sembla d'abord que la charité de ces braves gens, quant à leur manière de juger le prochain, laissait fort à désirer. Je cherchais le secret de cette anomalie, lorsqu'il me fut révélé à l'improviste. La maîtresse de la maison, femme âgée et respectable, après m'avoir donné beaucoup de renseigne­ments que je ne souhaitais pas, commença le por­trait d'un saint homme, son voisin, dont je con­naissais déjà l'éminente vertu et le dévouement aux œuvres pieuses. Ce rude chrétien, refusant pour lui-même les concessions de l'Église indulgente, con­tinuait l'abstinence avec le jeûne tout Je long du carême. La vieille dame, sa voisine, me parlait de cette inflexible austérité avec une indignation con­tenue qui ne laissait pas de me paraître singu­lière.

 

Comme je gardais le silence, la bonne femme me jugeant de son avis sur la foi du proverbe : — « Qui ne dit mot consent ». — éclata tout à coup : — N'est-ce pas ridicule, cela, mon père ? s'écria-t-elle. N'est-ce pas tout à fait contre l'esprit de l'Église?

 

     Non, madame, lui dis je, sans grand es­poir de la convaincre.  

     L'abstinence est au contraire tout à fait dans l'esprit de l'Église.   

 

Voilà, chère enfant, comment juge et condamne la piété ignorante et bornée. A côté de la fausse dévotion des orgueilleux et des sots, plaçons sa digne sœur, — la dévotion acariâtre.

Oh ! Quelle est détestable, celle-là !

 

Écoutez, mon enfant : La piété, c'est proprement l'amour ; l'amour de Dieu et l'amour du prochain, c'est-à-dire la charité.

La charité seule fait des apôtres ; elle seule aussi peut faire des saints. Ne l'oubliez jamais, saint Paul nous l'a dit si expressément : « Parlerais-je le langage des anges, aurais-je une foi capable de transporter les montagnes, si je n'ai pas la cha­rité je n’ai rien, je ne  suis qu'un airain sonnant.»

 

En parlant ainsi, saint Paul expliquait la parole expresse du Sauveur :

« Aimer Dieu et le pro­chain, c'est accomplir toute la loi; c'est être saint

 

Dites-moi, mon enfant : Â quel signe reconnaîtrez-vous la charité? N'est-ce pas à l'amabilité, qui en est en quelque sorte l'épanouissement, la fleur ? Que votre piété soit donc aimable, si non elle ne sera pas la piété, car elle ne sera pas l'amour.

 

L'amabilité, ou bien la douceur, est la première vertu que nous devons apprendre à l'école de Jésus-Christ. L'Homme Dieu nous a-t-il dit: « Apprenez de moi à faire des miracles?» — Non : « Apprenez de moi que je suis doux. »

 

La douceur nous donne avec Dieu des traits de ressemblance qui font de nous ses véritables enfants.

Jésus a encore dit: « Bienheureux les doux, les pacifiques, parce qu'ils seront appelés enfants de Dieu. »

 

Un père de l'Église appelle la douceur, le tombeau de tous les vices, et aussi le berceau de toutes les vertus. Selon Bossuet, la douceur se compose de pa­tience, de compassion, de condescendance.

 

Vous serez patiente, Henriette. Nous avons tant de motifs d'être patients ! La patience est un signe de force morale ; par conséquent, elle dépend de la volonté plus qu'on ne veut le croire.

(a suivre)

 

Tiré de : A VINGT ANS  MARIAGE ET BONHEUR  (Mme  E. D’Aguillon)  1924 (163-173)

 

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