Employer de l'argent, c'est s'employer soi-même, et la hiérarchie à établir entre nos dépenses ou nos mesures d'épargne est donc calquée sur celle de nos facultés et de nos valeurs de vie. La richesse est pour l'esprit, comme le corps est pour l'âme, comme tous deux sont pour Dieu.
Quand je dépense, ce doit être pour accroître la vie, surtout en ce qu'elle a de meilleur : la santé à la base, et, au-dessus, l'activité, la pensée, les nobles sentiments, les affections droites, les liens familiaux et les liens sociaux. Si j'épargne, ce sera en vue de favoriser cela encore, bien que ce soit pour demain.
Demain! Il y a un piège dans ce propos, et beaucoup y tombent. L'avarice pourrait là s'embusquer, au minimum la timidité, la crainte de voir le sol manquer sous vos pieds, ou bien un conformisme absurde.
Il y a des maximes toutes faites au service de ces défauts-là, comme de ne jamais toucher à son capital et, par exemple, fût-on riche, de constituer peu à peu la dot de ses filles uniquement avec son revenu. Ce sont là des sottises. Il est des cas où il faut entamer le capital; il est des cas où il faut ménager même les rentes. Ce qui en décide, c'est la vie en ce qu'elle a d'essentiel, en ce qu'elle a de plus pressant et de plus haut.
L'épargne est bonne à cette condition qu'elle représente la modération vertueuse et la prévoyance. Léonard de Vinci disait : « Le gaspillage ne profite à rien ni à personne, ne pas prévoir c'est déjà gémir ». Mais l'entassement des biens profite encore moins, et il avilît davantage. La dilapidation est légère; l'avarice est affreuse.
Le vigneron est sot, qui se refuse une grappe en faveur d'une vendange qu'il ne verra peut-être pas, et il est coupable en la refusant à son enfant qui a soif ou au passant fatigué.
Remplir un coffre n'est honorable qu'à la condition de le remplir comme un réservoir, en vue d'arrosages qui ne seront pas toujours et toujours différés.
Les biens que le Seigneur nous octroie, il les destine à ses fils — à l'instar des biens spirituels et sous leur gouverne — « afin qu'ils aient la vie et qu'ils l'aient en abondance. »
Il s'ensuit que la richesse ne doit pas être employée à nous épargner le travail, tout au plus à en modifier la forme, et plus que tout à en assurer l'efficacité.
Le travail, c'est la vie en acte : si la richesse est pour la vie, elle est aussi pour cette manifestation de la vie qui doit la préserver et l'accroître, multiplier ses effets au bénéfice du travailleur et au bénéfice de tous.
La richesse de l'oisif est une espèce de vol. Celle du travailleur est un don, étant une force conjointe à ce qu'il donne et un adjuvant pour la tâche commune.
L'argent est mortel à la vertu quand il prétend en dispenser ou qu'il la domine.
Et l'argent domine toujours la vertu, s'il ne la sert pas.
Extrait de : RECUEILLEMENT. Œuvre de A. D. Sertillages O.P. (1935)
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