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Que sert à l'homme de gagner l'univers s'il perd son âme

1 janvier 2020 3 01 /01 /janvier /2020 04:06

Le 1er janvier 1971 « Journée de la Paix » Paul VI a célébré la messe à san Felice de Cantalice, dans un quartier populaire de la banlieue de Rome, choisi symboliquement pour y parler de la paix aux humbles du monde entier. Après avoir salué les dignitaires ecclésiastiques et civils, le Pape a poursuivi ainsi son homélie.

Pourquoi sommes-Nous venu ici ? Le 1er janvier est le jour des vœux et Nous présentons à tous nos vœux affec­tueux et sincères. Le Pape aujourd'hui offrira la sainte messe pour tous et chacun.

Vous savez que, depuis quelques années, Nous avons consacré le 1er de l'An à la célébration de la «Journée de la Paix». Nous disons nous : les catholiques, les croyants, en englobant dans ce dessein et ces vœux adressés à tous les hommes de bonne volonté tous ceux qui dans le monde aiment la paix. Car notre invitation déborde toutes les frontières et cette pensée commence, Nous le savons, à se répandre dans le monde entier.

Le message aux gouvernants

Nous avons adressé une lettre officielle à tous les gou­vernants, à tous ceux qui président au sort des nations et auxquels il Nous est possible de Nous adresser. Nous avons donc invité à célébrer la «Journée de la Paix» toutes les sommités, tous ceux qui président au sort des peuples, tous les responsables, tous ceux qui ont le devoir de promouvoir la paix. Les dirigeants des nations ont, en effet, plus que les autres l'obligation de favoriser des rapports pacifiques entre les peuples. Ce sont eux qui décident du sort des nations et qui ont la responsabilité d'équilibrer les intérêts de chacune. C'est donc à eux en premier que Nous avons adressé notre propos et nos salutations, respectueuses certes mais suppliantes aussi.

« Mettons-nous tous d'accord, leur disions-Nous, cher­chons à promouvoir la paix dans le monde. Pourquoi le monde doit-il être ainsi troublé par des guerres qui tuent, blessent, détruisent, font souffrir, veulent écraser les autres et instaurer des rapports de force, de violence, de meurtre et de sang, au lieu de justice et de droit ? »

Cela ne peut pas aller ainsi. Ce n'est pas cela la civili­sation. Aujourd'hui, alors que nous avons accompli tant de progrès, que nous avons appris tant de choses et que nous disposons de tant de moyens de conduire les relations entre les peuples, la guerre doit être abolie, elle doit être proscrite des us et coutumes des nations. C'est d'une autre manière que nous devons concilier les intérêts des peuples et des nations : par des négociations, en défendant autrement la justice, le bon droit, l'intérêt légitime. Et non pas dans le sang et par la force, ce qui aboutit presque toujours à l'injustice.

Le droit des peuples à la paix

Mais cette année, Nous avons aussi considéré un autre responsable du sort des peuples. Ayant salué, disions-Nous, les sommités et les ayant invitées à fortifier la paix, Nous Nous adressons maintenant au peuple, à vous qui représentez ici symboliquement le peuple, non seulement celui de cette nation, mais celui de toutes les nations, qui désire vraiment la paix et la concorde entre les hommes. Si ceux qui vous guident ont le devoir de promouvoir la paix, vous avez, vous le peuple, le droit d'être gouvernés d'une manière qui ne trouble pas votre sort, votre paix et votre vie. Vous ne pouvez décider directement des intérêts suprêmes des nations mais vous avez le droit légitime et sacré d'attendre de vos chefs qu'ils vous gouvernent de manière à ce que vous n'ayez pas à souffrir, à vous trouver sous les coups des armes terrifiantes de ceux qui font la guerre, sans seulement que vous sachiez pourquoi et puissiez vous défendre. C'est le droit des peuples que nous célébrons aujourd'hui en cette « Journée de la Paix ».

Souvenir du bombardement de Rome

Un souvenir Nous revient en mémoire. C'était lorsque Nous accompagnions notre grand et vénéré prédécesseur Pie XII en la sortie qu'il fit, si Nous avons bonne mémoire, le 13 août 1943; c'était la seconde fois qu'il sortait du Vatican pour les bombardements qui commençaient à s'abattre sur Rome. Nous passions près d'ici, à la Porte Majeure, en route vers les quartiers de Saint-Jean. Il y avait là un groupe de jeunes, fous de douleur et de désespoir devant le bombardement qui venait d'avoir lieu : des maisons en ruine, des morts, des blessés, l'épouvante collective, la psychose chez tous comme pris de folie. L'un de ces jeunes courait derrière la voiture du Pape. Je le vois encore, de désespoir levant les bras et criant : « Pape, Pape, plutôt l'esclavage que la guerre » ! C'était insensé mais c'est ce qu'il criait, « délivrez-nous de la guerre, délivrez-nous de la guerre ». C'était le cri qui justement monte des classes populaires qui ne sont pas au courant des grandes questions qui décident du sort des nations : « Non, non, pas la guerre ! Qu'avons-nous fait de mal, que sommes-nous là-dedans, pour être ainsi frappés sans pitié, avec cruauté, sans justice et à l'aveugle ? » Cette scène et cette voix Nous sont apparues comme le symbole de ce qu'il y a d'irrationnel dans la guerre. Nous ne les avons jamais oubliées.

La paix par le peuple

Mais Nous avons encore une autre idée. Nous ne voulons pas aujourd'hui célébrer seulement la paix pour le peuple; Nous allons plus loin. La paix doit surgir du peuple, de vous. Vous devez être les promoteurs de la paix. Si vous êtes chrétiens, vous avez entendu tout à l'heure les textes de l'Évangile et vous savez que tout chrétien doit être un pacifique : non pas un homme endormi, un indolent qui ne se soucie de rien, mais un promoteur de la paix, un artisan de rapports pacifiques entre les hommes : « Bienheureux les pacifiques, c'est-à-dire bienheureux ceux qui se font les apôtres de la paix, car ils seront appelés fils de Dieu ». Vous qui êtes fils de Dieu, vous devez tous aimer et promou­voir la paix.

J'entends la question que vous me posez tout bas : « Mais nous, comment pourrons-nous promouvoir la paix ? Quel moyen avons-nous de faire valoir nos désirs et nos aspirations ? Voici notre réponse. D'abord, nous sommes en démocratie. Cela veut dire que c'est le peuple qui com­mande et que le pouvoir vient du nombre, de la quantité, de la population comme elle est. Si nous sommes conscients de ce progrès social que notre époque a fait mûrir et voit se répandre dans le monde entier, nous devons faire en sorte que la démocratie impose sa voix. La démocratie ne veut point que les masses aient à se mesurer les unes contre les autres pour se détruire. Une idée doit naître de cette forma­tion et de cette mentalité politique qui est celle du peuple, des masses et de l'ensemble de la population, et cette idée doit triompher : il ne doit plus y avoir de guerres dans le monde.

La paix sociale

II y a encore une autre voie que Nous vous recom­mandons. Nous devons nous éduquer, nous former, refaire notre mentalité et notre psychologie. Êtes-vous vraiment décidés à abolir entre les hommes ces rapports de lutte, de haine et de violence ? Êtes-vous résolus à être de ceux qui font avancer la paix et veulent que les intérêts des uns et des autres, même différents et parfois opposés, se règlent autrement que par la haine, la lutte, la force de la violence et du nombre ? Eh bien, nous devons nous éduquer à penser et à vouloir ainsi.

Vous pouvez voir que là-dessus nous n'en sommes encore qu'au commencement. Pourquoi ? Parce que, depuis très longtemps, nous sommes intoxiqués par l'idée qu'on n'arrive à rien sinon par la haine, la violence et les voies de fait. « A moins d'employer les moyens extrêmes, on n'obtient rien ». C'est une mentalité qu'il faut dépasser. Elle vient malheureusement de l'expérience, c'est-à-dire du fait qu'il y a des classes égoïstes qui ne veulent point bouger, qui possèdent et ne donnent pas, qui veulent profiter de leur force et de leur situation pour exploiter ou du moins pour utiliser les autres. Cela non plus n'est pas de la démocratie ni de l'esprit social. Ce n'est pas la charité que le Seigneur nous a prêchée.

Le Seigneur nous a dit : vous êtes tous frères. Est-ce là ce que nous pensons des rapports entre tous les hommes ? Oui et non. Nous le disons très souvent et nous pensons que c'est là une belle chose mais utopique, irréalisable, un beau rêve mais impraticable, inapplicable dans le concret. Cela montre qu'avant de persuader les autres, nous devons nous persuader nous-mêmes que la fraternité doit être la loi, le principe, le critère dominant des rapports entre les hommes. Si nous ne sommes pas encore frères, nous devons le devenir et nous habituer, après tant de siècles que l'Évangile nous le prêche et nous le répète, mais nous sommes réfractaires à cet enseigne­ment !,  nous devons nous habituer à voir dans un autre visage l'image de notre visage, et dans les autres un autre nous-mêmes. Car le Seigneur nous a dit « Aimez-vous les uns les autres, aimez-vous comme vous-mêmes». Cela veut dire que nous devons transférer dans les autres le sentiment de personnalité qui proprement nous définit, définit notre moi. Nous devons nous comprendre nous-mêmes dans les autres; nous devons dilater, universaliser notre personnalité en sorte que nous traitions les autres comme nous voulons être traités nous-mêmes. Voilà ce que nous enseigne Jésus. C'est une grande et difficile réalité, à laquelle nous devrons nous éduquer, pour laquelle nous devrons probablement célébrer bien d'autres belles « Journées de la Paix » ! Mais c'est la ligne à suivre, c'est la grande politique du monde, humaine et chrétienne : Nous devons nous habituer à voir dans les hommes non des antagonistes, des ennemis, des rivaux, des concurrents, mais des frères.

Ne risquons-nous pas ainsi de ne plus avoir la force de défendre nos intérêts ? Nous devons défendre nos intérêts mais autrement que par la haine, la violence et l'écrasement des autres. Nous devons nous situer à un niveau supérieur, à celui de la raison et à celui, plus élevé encore, de la charité. Nous devons vouloir du bien à tous, nous seraient-ils anti­pathiques, des adversaires et des ennemis. Nous devons acquérir cette immense force nouvelle qui nous rend plus hommes. C'est la leçon de l'Évangile.

Fils et frères très chers, avons-nous la force de pardon­ner ? Savons-nous atteindre à cette force d'âme, à cette énergie spirituelle qui sait céder devant la méchanceté d'un autre? Pas encore peut-être. Nous disons tous les jours au Seigneur : « Père, pardonne-nous nos offenses comme nous pardonnons à ceux qui nous ont offensés ». N'oubliez point ce « comme », ce « comme nous pardonnons à ceux qui nous ont offensés... »; L’équation entre les fautes dont nous demandons le pardon et celles que nous devons pardonner aux autres bien souvent n'existe pas. Nous prétendons que Dieu, lui, nous pardonne, qu'il ait pitié de nous et nous bénisse, mais nous ne bénissons pas et nous ne pardonnons pas. Il faut arriver à posséder cette force d'âme. La paix n'est pas une faiblesse ni une lâcheté ni en face d'autrui le renoncement passif à ses aspirations et à ses intérêts légitimes. Il existe une façon légitime, mesurée et raison­nable de défendre ses aspirations. Tant d'aspirations restent encore en souffrance ! Pour notre peuple, que de grandes et belles choses attendent encore ! Nous devons tous travailler à ce qu'elles soient réalisées.

Pour cela, nous devrons bâtir notre société et notre démocratie sur l'amour, sur la charité, sur les principes de l'Évangile, sur ceux aussi du droit naturel qui nous dit justement que les hommes sont égaux entre eux et qu'ils ont tous les mêmes droits et les mêmes devoirs.

Voilà ce que Nous avions à vous dire. Ce qu'on vous prêche, vous le voyez, s'annonce difficile et quasi impossible à pratiquer, car cela demande beaucoup. Mais commençons dans notre cœur : devenons bons, forts, miséricordieux, capables de voir les besoins et les misères des autres, capables de secourir les autres, capables de donner la main au plus faible et à celui qui est tombé, dans un sentiment de fraternité et de miséricorde. Vous verrez que les choses s'amélioreront et, un jour, au nom du Christ et de la civilisation, la paix triomphera.

Paul VI 

Texte  italien  dans  L'Osservatore  Romano  des   2-3   janvier 1971. Traduction des Actes Pontificaux.

Elogofioupiou.over-blog.com

 

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