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Que sert à l'homme de gagner l'univers s'il perd son âme

25 octobre 2017 3 25 /10 /octobre /2017 03:07

CRÉATEUR DU CIEL ET DE LA TERRE…    

En traitant du premier article : « Je crois en Dieu », nous ayons déjà dit incidemment que le monde avait été créé par Dieu et que son exis­tence ne pouvait s'expliquer autrement. Et voilà qu'en retournant la même proposition en sens inverse nous nous trouvons devant un abîme de difficultés, ce Dieu a créé le monde. » Mais pour­quoi ? Quel besoin en avait-il ? De toute éternité il vit dans le ciel, se suffisant pleinement à lui-même, sans que rien ne manque à son bonheur et à sa gloire. Comment, donc, a-t-il pu vouloir autre chose ? Était-ce pour distraire sa solitude ? Comme si Dieu pouvait souffrir d'être seul avec lui-même ! Le dogme de la Sainte Trinité démolit d'un coup de pareils raisonnements en nous appre­nant que, de toute éternité, l'Intelligence infinie produit une pensée qui lui est égale, qui est une même chose avec elle; et c'est cette pensée divine que nous appelons le Verbe, la seconde Personne de la Sainte Trinité. Dans le même temps, entre l'Intelligence infinie et la pensée infinie jaillit un Amour éternel, qui va de l'une à l'autre en un flux et un reflux incessant : une troisième Personne enrichit donc la vie de Dieu et cet Amour éternel est appelé l'Esprit Saint. Il n'est donc pas de soli­tude pour Dieu. En sa propre existence trinitaire, il trouve l'exercice le plus parfait d'une activité débordante et féconde.

Il n'y a pas, en somme, d'explication vraiment satisfaisante du fait de la création. Nous savons qu'elle a eu lieu, puisque nous sommes là, mais c'est à peu près tout. Les théologiens ont beau nous dire qu'il « est de la nature de la Bonté d'être diffusive de soi », de sorte que la création serait une sorte d'immense effusion de la bonté toujours active de Dieu. Nous n'en savons pas beaucoup plus long, finalement, sur le sens du mot: « créer ». Nous savons que ni vous, ni moi, nous ne faisons jamais rien, à proprement parler, sinon « arranger » ce qui existait déjà, « Faire » la moindre chose, au sens rigoureux du mot, est pratiquement impossible. Vous pensez avoir fait une cabane à lapins, parce que vous avez disposé ensemble quelques planches, après avoir probable­ment démoli autre chose, mais rien n'existe de plus que ce qui existait auparavant.

Quand Dieu a fait le ciel et la terre, ce fut bien autre chose ! Rien n'existait auparavant, et il a dû commencer par tout appeler à l'existence ! Peut-être la manière la moins déconcertante d'envisager la question serait-elle de penser à ce qui se passe, lorsque vous écrivez un poème ou un roman. C'est tout différent, n'est-il pas vrai, de composer un poème ou de faire une version anglaise. Vous sentez bien que, votre poème une fois écrit, noir sur blanc, quelque chose de nouveau s'est mis à exister : la littérature s'est enrichie, si peu que ce soit, de ce quelque chose. Eh bien ! Lorsque Dieu crée, ce qui n'avait existé jusque-là dans sa pensée devient réalité. Et la même comparaison nous aidera à comprendre un peu le pourquoi de la création.

Dites-moi, quand vous écriviez votre poème, est-ce bien réellement vous qui vouliez l'écrire, ou n'est-ce pas plutôt votre poème qui voulait être écrit ? Votre imagination en était si remplie qu'elle ne pouvait pas, en quelque sorte, ne pas l'écrire. Peut-être avez-vous eu ensuite un petit mouvement de vanité en le faisant admirer à vos amis et connaissances, mais le fait d'écrire n'était pas vanité; vous cédiez simplement au besoin de vous exprimer.

En Dieu, il ne saurait y avoir de besoins d'au­cune sorte, mais peut-être pouvons-nous, de très loin, comparer cette manifestation de la bonté de Dieu que fut la création à l'irrésistible motion du poète ou de l'écrivain qui se met à écrire.

« Créateur du Ciel et de la Terre. » Le ciel dont il est question serait-il seulement le firmament constellé d'étoiles ? Il ne semble pas. Le Sym­bole de Nicée -— celui de la Messe — appelle Dieu « Créateur du ciel et de la terre, des choses visibles et invisibles ». Nous pouvons penser qu'il s'agit ici de tout l'ordre surnaturel, qu'aucun télescope ne nous fera jamais apercevoir, Et re­marquez, en passant, jusqu'à quelles profondeurs nous a déjà entraînés notre première affirmation : « Je crois en Dieu ». Il faut qu'il y ait un Dieu pour expliquer notre propre existence et celle des êtres qui nous entourent. Mais, en même temps qu'il se révèle à nous, Dieu nous apprend que le monde, dont nous sommes les témoins, est loin d'être toute la création. Il n'en est même qu'une toute petite partie, presque insignifiante, au regard de l'ensemble. Avez-vous jamais vu un iceberg au milieu de l'océan Atlantique ? De loin on dirait une montagne de glace, flottant à la surface de l'eau, tandis qu'en réalité la plus grande partie de cette masse est sous l'eau, invisible à vos yeux. Ainsi en est-il de la création. Nous n'en voyons pour ainsi dire qu'un petit bout, celui qui émerge... quelques milliers d'étoiles au milieu desquelles notre planète est un point à peine per­ceptible. Mais, au-dessous de cet ensemble et comme support de tout le reste, existe un monde qui ne se voit pas, un monde surnaturel. La Révé­lation seule peut nous en dire quelque chose et c'est bien peu ! Dieu a pour ainsi dire soulevé un coin du, voile, afin de nous donner un aperçu des merveilles qu'il nous cache; comme l'on fait pour le petit enfant, quand l'arbre de Noël n'est pas tout à fait prêt : on entrouvre la porte, juste pour lui faire entrevoir ce qui l'attend. Nous savons qu'il y a des anges, purs esprits qui servent Dieu jour et nuit et veillent sut nous par surcroît. Nous savons aussi qu'il y a de mau­vais anges, ennemis de Dieu et des hommes, qu'il y a un ciel à mériter, un enfer à éviter, un pur­gatoire à franchir le plus rapidement possible. Dieu nous fait entrevoir tout cela, puis il laisse retomber le rideau, comme s'il nous disait : «Cela suffit pour le moment. Vous aurez tout le temps de voir cela un peu plus tard. »

J'ai dit que la Révélation nous apprenait ces choses de l'au-delà. Mais déjà .notre raison nous les faisait pressentir. Si Dieu, pensons-nous, a pu créer quoi que ce soit, faudrait-il donc que cette création soit uniquement matérielle ? Nous savons, d'ailleurs, qu'il a fait des êtres composés à la fois de matière et d'esprit. Pourquoi, dès lors, n'au­rait-il pu faire une troisième sorte d'êtres, pure­ment spirituels ? Or, nous savons qu'il les a faits, ce sont les anges.

Il n'en est pas moins vrai que le monde invisible reste pour nous assez effarant. Tant qu'il est seu­lement question de notre monde à nous, fait d'es­prit et de matière, nous nous sentons plutôt à l'aise. Le monde de la matière peut être aussi vaste qu'il voudra, dépasser toutes les mesures et toutes les dimensions, cela nous gêne peu après tout; nous avons conscience de lui être par notre âme tellement supérieure ! Mais quand nous appre­nons que des millions d'anges « se tiennent devant Dieu », nous commençons à nous sentir extrême­ment petits; et nous nous demandons comment Dieu pourrait encore avoir besoin de nos services, alors qu'un nombre incalculable de Chérubins et de Séraphins s'emploient constamment à lui ren­dre leurs hommages. La création n'est plus cette petite affaire tout intime entre Dieu et nous, qu'elle nous paraissait être, mais une prodigieuse aventure au milieu de laquelle nous nous sentons perdus, comme balayés par un formidable courant d'air. Et nous en venons presque à regretter que Dieu l'ait réalisée sur un plan si grandiose !

Il faudrait, voyez-vous, que nous sachions re­garder tout cela avec un certain sens des propor­tions. Et la première chose à nous rappeler serait celle-ci : notre âme, chacune de nos âmes, repré­sente de la part de Dieu une création spéciale. Lorsque naît un animal quelconque — prenez un cobaye, par exemple — Dieu n'a pas, à propre­ment parler, à le créer. Son entrée dans l'exis­tence n'est qu'une suite de ce qui est impliqué dans le premier chapitre de la Genèse, où il est dit qu'après avoir créé les oiseaux, les poissons et les autres animaux, Dieu ajouta ce commande­ment : « Croissez et multipliez-vous, » (Gen., 22.) C'était dire équivalemment : « Je ne vais pas créer indéfiniment des oiseaux, des poissons, etc.; c'est fait une fois pour toutes, » C'est d'ailleurs en vertu de cette parole que votre corps — l'élément matériel de votre être — a commencé d'exister. Pour votre âme, c'est bien différent : vous ne l'avez pas reçue de vos parents, Dieu l'a créée exprès pour vous, pour aller avec votre corps; il l'a créée de rien, exactement comme il a créé le monde, ni plus ni moins. Il n'était pas obligé d'agir ainsi, c'est certain; c'est pourtant ce qu'il a fait, par un acte de sa volonté expresse; sa bonté infinie se répandait en vous; il pensait à vous spé­cialement et, maintenant encore, c'est ainsi qu'il pense à vous, à vous personnellement, tout autant que s'il n'avait pas des millions d'anges pour le louer et le servir.

Mais rappelez-vous bien que celui qui crée a droit de propriété sur la chose créée. Le poème que vous avez écrit est vôtre; si je m'en emparais, si je le signais et si je l'envoyais en mon nom à l'éditeur, vous auriez le droit de me poursuivre en justice. De même parce que Dieu vous a créés, vous appartenez absolument à Dieu. S'il vous demande de faire une chose ou vous interdit d'en faire une autre, vous ne pouvez pas dire : « Je ferai comme il me plaira. » Dieu vous possède comme son bien propre; il est votre raison d'être. Faire sa volonté devrait vous sembler beaucoup plus naturel que de faire la vôtre. Et aussi loin que Dieu veuille pénétrer en votre vie, il ne dépasse pas les limites de ses droits. De même que vous corrigez indéfiniment le poème conçu par vous, que vous en changez les rimes à votre convenance, parce qu'il est vôtre, de même Dieu, qui vous a faits ce que vous êtes, qui a construit de ses mains le cadre de votre vie et toutes les circonstances, peut dispo­ser de vous à son gré. Dieu peut permettre qu'une personne riche devienne soudainement pauvre, qu'une autre, très belle, soit défigurée par un accident, il ne fait en cela rien qui outrepasse ses droits.

 « Le Seigneur avait donné, le Seigneur a repris.  Que   le   nom   du  Seigneur soit béni. » (Job., I, 21.)

Maintenant, ne me demandez pas pourquoi Dieu a fait le ciel et la terre, tels qu'ils sont, et non pas autrement. A cela pas de réponse, pour la bonne raison, d'abord, que personne ne peut savoir ce que le monde aurait été sans la chute originelle ou, si vous préférez, ce qu'il aurait été dans le cas où Dieu, en créant Adam et Ève, n'au­rait pas prévu la chute. Le récit de la Genèse semble indiquer que les ronces et les épines, ces fléaux des cultivateurs, n'étaient pas dans le plan primitif de Dieu et que, en tout cas, elles n'avaient pas, au début, la désespérante vitalité que nous leur connaissons.

Mais quoi qu'il en soit des spéculations théolo­giques sur le sujet, il est difficile de dire, au nom de la seule philosophie, quelle sorte de monde Dieu aurait bien pu faire, s'il n'avait pas fait celui qui, de fait existe, et que nous connaissons bien. Tout ce que nous pouvons dire c'est qu'il a créé une variété incroyable d'espèces, dont un cer­tain nombre, comme le mammouth ou le diplo­docus,  devaient disparaître. Tout donne à l'es­prit qui réfléchit tant soit peu l'idée d'une richesse d'imagination comme seuls les grands artistes en connaissent. Il y a, dans toute l'affaire de la création, comme une prodigalité géniale de la part de son auteur, on pourrait presque dire un gaspillage magnifique, et l'on se rappelle les paro­les de Dieu : « Mes pensées ne sont pas vos pensées et vos façons d'agir ne sont pas les miennes. » (Isaïe, lv, 8.)

Retenez ceci encore : Dieu a fait le ciel et la terre pour vous.

Saint Paul nous en avertit en nous disant que tout est nôtre, les choses présentes comme les choses à venir ». (I Cor., III, 22.)

Nous vivons en ce monde, environnés des créa­tures de Dieu. Elles m'existent que pour nous faire souvenir de lui et nous obliger à penser que le Créateur est bien supérieur à son œuvre !

Elles existent pour que nous en fassions un usage bon et raisonnable, nous en servant au lieu de leur être asservis; ceci exige la discipline et la mortification des appétits égoïstes qui nous rava­leraient au rang des animaux sans raison.

Tout cela est vrai de la création terrestre, maté­rielle. Mais le ciel aussi est nôtre et s'offre à nous réjouir. Dès maintenant déjà, la perfection des saints Anges, les prières de la Sainte Vierge et des saints nous sont assurées, parce que nous sommes les enfants de Dieu. Comme sera splendide le jour où, s'il plaît à Dieu, laissant derrière nous le purgatoire, nous trouverons au ciel la fin pour la­quelle nous avons été créés, l'existence qui, seule, peut satisfaire tous les désirs de notre cœur ! Alors le divin Artiste mettra la dernière main à son œuvre et nous serons en mesure d'admirer pleinement la beauté et la perfection de son ouvrage. Le voile retiré, l'Auteur de toutes choses sera devant nous pour nous accueillir et recevoir notre louange émerveillée !

Extrait de : LE CREDO  Mgr Ronald KNOX. (1959)

Elogofioupiou.over-blog.com

 

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