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Que sert à l'homme de gagner l'univers s'il perd son âme

9 juillet 2017 7 09 /07 /juillet /2017 07:28

LE RIRE ET LES LARMES…

Parmi les phénomènes les plus singuliers, les plus caractéristiques, les plus frappants, les plus mystérieux de la nature humaine, il faut compter le rire et les larmes.

Que signifie le rire ! Que signifient les larmes ?

Je ne vais pas essayer de répondre à cette question tout entière. Elle est immense, insoluble, invincible. Je vais indiquer une des faces qu'elle présente.

Le rire et les larmes semblent être les deux aimants de nom contraire, les deux pôles opposés d'une certaine électricité mystérieuse.

Cette Électricité serait-elle la Force qui préside à la fois aux jours et aux nuits de ce monde relatif, et qui s'appelle la Relation ?

S'il en était ainsi, il me semble que le rire serait la Parole de la Relation brisée, et que les larmes seraient la Parole de la Relation sentie.

Expliquons ceci par quelques applications. Qu'est-ce que le ridicule, sinon la relation détruite entre les choses ?

La disproportion est la chose qui fait rira.

Un enfant veut être terrible et n'en a pas les moyens. Il fait rire... La cause fait semblant d'être grande, l'effet est nul, la relation manque.

L'ironie est une distance qu'on établit entre celui qui parle et celui qui écoute, ou celui dont on parle. C'est pourquoi elle choque tant.

L'ironie semble dire : Vous êtes d'un autre monde que moi. Je vous regarde de si loin que je ne sens pas ce que vous voulez, me faire sentir. Je le vois, parce que j'ai deux yeux, mais je ne le sens pas, parce que la rela­tion entre vous et moi est brisée. Je suis trop haut, et vous êtes trop bas.

Voilà l'ironie ordinaire, qui contient ordinairement une somme plus ou moins grande d'amour-propre.

Qui sait s'il n'y aurait pas une ironie extraordinaires laquelle briserait le rapport en sens inverse et dirait à quelqu'un : Il n'y a rien de commun entre vous et moi. Vous êtes trop haut et je suis trop bas ?

Cette ironie renversée partirait de l'Abîme, et il y en a peu d'exemples dans l'histoire ! Cependant je ne vou­drais pas dire qu'il n'y en a aucun exemple.

En général, le rire vient de la légèreté. Celui qui rit beaucoup est léger ou se fait léger accidentellement, par nécessité, ou par circonstance.

Le rire indique qu'on s'arrête à la superficie de la chose dont on parle. On la regarde du dehors; elle est bizarre, on rit ! Si on enfonçait un peu, qui sait ce qui arriverait et si, au lieu du rire, on ne trouverait pas autre chose ?

La folie est chose affreuse, et cependant elle peut faire rire, tant le rire ressemble peu à la gaieté. Elle peut faire rire, parce qu'elle brise la Relation et rassemble des idées qui ne s'assemblent pas entre elles. Un homme ivre peut faire rire, malgré le dégoût qu'il inspire, parce qu'il a perdu le sentiment de la Relation. La fami­liarité excessive, l'expression excessive du respect, le tutoiement, les titres d'honneur, l'absurdité du rêve ou celle de l'ivresse, toutes les brisures de la Relation peuvent amener le rire.

C'est que la Relation est chose sérieuse. La Relation est intime, profonde; qui sait la place qu'elle occupe dans l'ordre universel ?

Celui qui la brise défait le monde peut-être ; et le rire a l'air d'un éclat de joie poussé par quelqu'un sur un monde détruit.

La férocité peut rire ; celui qui a tué sans émotion peut rire ; la légèreté peut rire ; l'indifférence peut rire ; l'insouciance peut rire.

Mais n'y aurait-il pas un rire triomphant, qui serait le signe superbe de la Relation dépassée ? Qu'arriverait-il si l'Essence... ?

Arrêtons-nous… Silence !

Deux hommes ont eu des relations. (Voici le mot de relation qui revient au pluriel.) Ils entrent en discus­sion. La discussion dégénère en querelle.

Ils se raillent ; ils rient l'un de l'autre.

Puis chacun rentre chez soi. Et, dans le silence de la solitude, le souvenir du passé revient.

Ceux qui riaient tout à l'heure pleurent silencieuse­ment.

C'est la Relation qui se fait sentir.

Le rire était produit par la superficie des choses, les larmes par leurs profondeurs. Les larmes sont les eaux de l'abîme; elles sortent des lieux très bas, très profonds, très cachés ; elles révèlent souvent à celui qui les verse ou à celui qui les voit l'existence de profondeurs qu'il ignorait dans lui-même ou dans les autres.

Dans ces profondeurs ignorées, où généralement l'homme oublie de descendre, dans ces profondeurs ignorées se meuvent les relations qu'il a eues, qu'il a et qu'il aura avec l'universalité des choses. Le souvenir est un endroit plein de larmes, parce que le souvenir est plein de relations.

Le présent est quelquefois l'endroit du rire, parce qu'il cache souvent la profondeur sous la superficie, et la Relation sous son défaut. Le Présent montre la rela­tion absente ; le Présent montre en quoi la relation n'est pas complète; il la montre s'évanouissant sous les acci­dents qui la surchargent ; de là, le rire. Le Présent est fait de pièces et de morceaux; il est bigarré et voile les rapports secrets des choses sous le costume extérieur, capricieux, changeant que les circonstances multiples leur imposent. Le Présent a l'air d'un caprice. Il cache son vrai nom sous les fantaisies de son déguisement.

Mais le Passé parle sur un autre ton. Le Passé dé­gage solennellement les choses de leur apparence. Leur bizarrerie s'évanouit sous leur réalité sérieuse.

Le Passé dégage les événements de l'accident qui les isolait, et les montre ensemble dans la relation qui les unit. Le Passé montre les liens qui unissent les choses entre elles. Le Présent cachait cette petite tresse imper­ceptible ; le souvenir la découvre, et les larmes, sortant de la retraite mystérieuse où elles dorment en attendant qu'on les appelle, viennent voir le jour en disant : Nous voici.

Elles disent : Nous voici, quand l'homme se souvient; car le souvenir appelle la Relation ; elles disent : Nous voici, quand l'homme se plonge dans l'amertume des eaux profondes : car il y trouve la masse confuse des objets qu'il a autrefois connus ; elles disent : Nous voici, quand l'homme est visité par la Joie, la Joie sublime et torrentielle qui éclaire comme la foudre l'obscurité profonde des nuits, montrant à la lueur du même éclair la face de la terre, la face de la mer et la face des cieux ; elles disent : Nous voici, quand l'homme admire ; car l'Admiration est une Explosion de l'Unité qui interdit l'isolement à tout ce qu'elle rencontre sur sa route. L'Admiration embrasse ce qu'elle voit et montre aux créatures surprises le lieu où elles sont ensemble, le lieu où elles sont à genoux…

Extrait de : L’HOMME, la vie… Ernest HELLO (1936)

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