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Que sert à l'homme de gagner l'univers s'il perd son âme

11 juillet 2017 2 11 /07 /juillet /2017 19:50

La poésie légère ou la passion du malheur…   

Une illusion très répandue parmi les personnes vertueuses, qui croient que leur vie aurait plus d’intérêt, plus de variété, plus de liberté, si le mal se mêlait plus souvent au bien dans leur pratique journalière.

Ces pauvres gens s'abstiennent quelquefois du mal, parce qu'ils croient devoir s'en abstenir ; mais ils s'en abstiennent sans le mépriser; ils s'en abstiennent avec une sorte de regret. Quelque chose d'eux-mêmes reste avec lui quand ils le quittent ; ils ne le désertent pas à tous les points de vue. Ils ne savent pas combien il est fade, comment il est ennuyeux. Ils n'ont pas horreur de lui.

Un certain attrait pour ce qui fait tomber ; un cer­tain regret de ne pas toucher au fruit défendu ; un cer­tain partage de l'âme entre le bien et le mal ; un certain sentiment, vague et inconscient peut-être, que la poé­sie est diminuée par l'exclusion du péché et du mal­heur ; une certaine absence d'exécration en face du monstre infernal, surtout si son langage est élégant, si son visage est fardé, si son exigence est modérée, toutes ces pensées abominables ne dominent pas seulement les hommes livrés à l'erreur ; elles se glissent, elles s'insinuent dans les âmes honnêtes qui veulent être bonnes et droites. La fente par laquelle elles entrent, c'est la déchirure de l'unité. Les âmes dont je parle veulent le bien ; mais elles ne savent pas assez tota­lement, assez pleinement, assez pratiquement, assez abso­lument l'unité du vrai, du beau et du bien. Elles ne savent pas la laideur épouvantable de tout ce qui n'est pas la vérité pure. Elles ne savent pas la honte effroyable, sans nom, sans mesure et sans restrictions de toute chose appelée honneur, si cet honneur n'est pas la dignité du vrai ; de toute chose appelée gloire, si cette gloire n'est pas la magnificence de la pureté. Elles ne savent pas cette unité profonde du vrai, du beau, du bien, unité qui doit être non pas seulement notre pen­sée, mais notre vie, et nous faire circuler dans le sang l'horreur de tout mensonge, surtout s'il est déguisé.

Beaucoup de gens croient qu'il faut, par vertu, s'abstenir du bonheur, parce que le bonheur est dan­gereux, ils ne savent pas qu'il faut, par vertu, s'abstenir du malheur, parce que c’est le malheur qui est dangereux.

Un des caractères que possède le goût du malheur, c’est la stérilité de ce malheur et l'inutilité du regard qu'on jette sur lui. Le malheur est un aliment pour la vanité, pour la curiosité, pour l'illusion, pour le néant.  Il n'a ni leçons, ni lumières, ni remèdes. Il ne sert à rien, il ne sert qu'à faire parler et à faire pleurer, malgré la di­gnité de la parole et la dignité des larmes qu'il outrage par son approche. Le malheur, dans ces conditions-là, devient une position et remplace, par une attitude mélancolique, le travail qu'on ne fait pas; car le goût du malheur est une des formes de la paresse, et comme la littérature contemporaine a été, dans sa partie dépra­vée, l'apologie de la paresse, cette littérature a propagé et vanté le goût du malheur.

Cette paresse dont je parle est une paresse adaptée aux hommes qui se croient grands, une paresse verbeuse, déclamatoire, doctorale et emphatique qui méprise l'action. Cette paresse, non contente de la pratique, s'élève à la hau­teur de la théorie. Elle ne fait rien parce qu'elle est trop majestueuse pour agir. Elle s'admire dans sa niaiserie et surtout dans sa douleur. Elle tâche de pleurer et fait étalage des larmes stériles qu'elle essaye de répandre. Cette paresse prend quelquefois la plume pour donner aux hommes la passion du malheur. Les lamentations qui naissent ainsi n'ont ni vertu ni beauté. Elles ne cor­rigent ni n'éclairent ; elles énervent et enorgueillissent.

À propos de la passion du malheur, je vais signaler un genre de poésie qui vit de larmes, qui se nourrit de sang humain, qui s'abreuve de désespoir. Elle a un nom la poésie légère.

Ceux-là seuls seront étonnés de ce que je viens de dire,  parce qu’ils n'ont pas réflé­chi  à la légèreté que le désespoir contient; la poésie légère parle d'amours trompées, de vies perdues, de douleurs éternelles, de tristesses sans espérance, de rêves sans réalisation. La poésie légère est faite de sépulcres et d'ossements. Elle est morne, elle est noire, elle est terne, elle est stérile. Elle est lourde comme le vide ; elle est écrasée sous le fardeau qu'elle porte, et il y a de quoi; car ce fardeau, c'est l'absence de Dieu. Toutes ces rêvasseries pleines de soupirs, de larmes et de men­songes, sont vides de Dieu et pleines de l'homme. Sous la charge qu'elle traîne, la poésie légère a le droit de suc­comber. Le chant du deuil ignore la joie et la lumière qui comp­tent parmi les devoirs de la poésie. La poésie légère célèbre le malheur, parce qu'elle manque de gravité. La poésie austère, celle qu'il faut aimer, célèbre la joie,  parce que la joie vient de Dieu, disait le Roi-Prophète, et les psaumes de la Pénitence sont remplis du nom delà joie, parce que la pénitence de David était sérieuse et divine. Si son regret eût été léger et humain, David eût dit adieu, par forfanterie, à l'espérance. La joie est l'austérité de la poésie. Si la rosée est féconde, certes les larmes doivent l'être. Parmi les richesses de la création, il n'y a pas de richesses peut-être qui aient été plus prostituées que les larmes. Sainte Rose de Lima disait «qu'elles appar­tiennent à Dieu, et que celui qui les donne à un autre les vole au Seigneur.» Or les larmes sont devenues des abominations. Elles, dont l'essence est de se cacher, elles sont devenues des parades, des poses, des atti­tudes. Elles, qui sont les sanglots de là vérité, quand la vérité ne peut plus parler, elles sont devenues des mensonges. Elles, qui sont des forces, elles sont devenues des dissolvants. Elles, qui sont des sources de vie, cachées plus haut que la pensée, elles sont devenues des sources de mort, cachées plus bas que la défaillance. Il y a dans les larmes prostituées quelque chose qui ressemble aux sacrifices humains.

Le christianisme a restitué les larmes, comme le sang, au Créateur des cieux et des eaux. Il les a placées près des sources de la vie! Jésus-Christ pleura près du tombeau de Lazare. Les larmes de Madeleine sont deve­nues un des grands souvenirs de l'humanité. Les peintres feraient bien de ne pas y toucher légèrement, et de ne pas les confondre avec les larmes contraires, dans la crainte d'un attentat. Les larmes sont montées si haut, qu'elles sont à leur place au tribunal de la pénitence, quand tout près d'elles le sang de Jésus-Christ tombe avec l'absolution sur la tête du pécheur.

Dieu fait ce qu'il veut des choses qu'il touche ! Il les emploie quelquefois à des usages étonnants ! S'il touche les larmes, il fait d'elles la force des faibles et la ter­reur des forts.

Le langage chrétien désigne par un mot énergique la douleur d'avoir péché. Ce mot est la contrition, qui veut dire brisement. Si l'habitude ne jetait pas sur toutes choses le voile gris de l'indifférence, les hommes seraient singulièrement frappés de ce mot magnifique. Mais voici ce que je voulais dire : la contrition est pleine de joie. Le brisement du cœur est plus délicieux que les choses les plus recherchées. Je ne parle pas des délices vagues de certains sentiments qui ressem­blent à des rèves, délices stériles et affaiblissantes. Les délices dont je parle sont des réalités fortifiantes, actives, fécondes. Ce sont des joies qui font agir.

Pour apprécier un acte fait dans la vérité, il est bon de regarder le même acte accompli dans l’erreur. A côté du re­pentir, qui est un nom moins beau de la contrition, il y a le remords. Le repentir est bon ; le remords est mauvais. Le repentir donne la joie et le remords la tristesse. C'est que Dieu est dans le repentir, et Dieu n'est pas dans le remords.

Le repentir calme le coupable ; le remords l'exaspère. Le repentir lui ouvre l'espérance, le remords la lui ferme. Le repentir est plein de larmes, le remords plein de terreurs. Le remords fait voir des fantômes, le repen­tir fait voir des vérités.

Mais je préfère le nom de la contrition même au nom du repentir. Je trouve dans la contrition beaucoup plus de joie et de lumière. Je veux, à ce propos, attirer votre at­tention sur le langage du christianisme, langage étonnant de profondeur, qui ouvrirait des avenues sans fin devant nos intelligences et devant nos âmes, si l'habitude n'était pas toujours là pour méconnaître les dons de Dieu, pour passer, sans lever la tête, sous les étoiles et sous les paroles du ciel. Or le christianisme nous dit dans son langage :

« Faites un acte de contrition. »

Un acte de contrition !

Quelle merveille, si l'habitude n'était pas là !

Aux yeux de l'homme qui ne sait pas son âme, la contri­tion semblerait être, comme la tristesse humaine, quelque chose de purement passif; un amoindrissement, la perte de forces ; et c'est exactement le contraire qui est vrai. Chose admirable !

La contrition est un acte.

Une certaine sagesse inférieure pourrait dire au cou­pable :

« Ne vous abandonnez pas à la douleur ;

soyez homme : montrez un courage viril.»

Le christianisme lui dit : Faites un acte de contrition.

Extrait de : L’HOMME, la vie… Ernest HELLO (1936)

Elogofioupiou.over-blog.com

 

 

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commentaires

E
Bien dit:)
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